Féérie hivernale : le cinéma tchèque de contes de fées

Il existe une tradition liée aux fêtes de l’Avent que l’on observe dans de nombreux foyers occidentaux : le visionnage de films de Noël. Nous connaissons tous nos classiques tels A Christmas Carol, Home Alone, The Holiday, How the Grinch Stole Christmas!, The Nightmare Before Christmas, Gremlins, Love Actuallysans citer les innombrables téléfilms célébrant l’amour et l’esprit de Noël, avec des scénarios et des titres plus ou moins inspirés dont le succès ne s’est jamais démenti.

Ce cinéma issu majoritairement de la culture américaine aux fortes valeurs traditionnelles vante les vertus chrétiennes de bonté et de charité et promeut une esthétique stéréotypée rassurante et familière faite de fausse neige, de chants festifs, de décorations surchargées, de gâteaux enrobés de sucre… Une perfection calculée qui nous plonge dans l’ambiance magique de Noël.

Or dans la plupart des pays de l’est de l’Europe (Allemagne, Slovaquie, République Tchèque, Hongrie…), c’est autour d’un autre genre cinématographique que les familles se rassemblent : les films de contes de fées. Comme en Allemagne où la série télévisée Les Contes de Grimm / Sechs auf einen Streich adapte depuis décembre 2008 les histoires des frères Grimm, de Andersen ou de Hoffmann.

En République tchèque Česká republika ou Tchéquie Česko, les contes de fées pohádky font partie intégrante des habitudes hivernales. Depuis 1993, à chaque veille de Noël, la télévision tchèque diffuse un film de conte de fée en avant-première sur la chaîne familiale CT1. Ces contes de fées de Noël s’ajoutent à la très nombreuse liste de contes de fées de la télévision tchèque (seznam českých televizních pohádek) diffusés depuis 1955.

*

Pays d’Europe de l’est enclavé par ses voisins polonais, allemands, autrichiens et slovaques, la Tchéquie comprend les régions de la Bohême, de la Moravie, et de la Silésie. Son histoire a suivi les grands bouleversements connus par l’Europe au cours des siècles : c’est après la dislocation de l’empire austro-hongrois (1867-1918) et à l’issue de la Première Guerre Mondiale que la Tchécoslovaquie fut formée (1918-1992).

L’évolution du cinéma tchèque est associée à la famille entrepreneuriale Havel dont l’un des fils fit fortune après 1918. Homme ambitieux, il fonde à Prague un studio de cinéma moderne Barrandov Studios, développé par les occupants allemands dès 1941 avant d’être nationalisé par l’État jusqu’en 1990. Le Printemps de Prague au milieu des années 1960 avec ses réformes libérales inédites fut accompagné d’une vague de nouveaux films tchèques qui ont retenus l’attention du monde entier. Une liberté vite réprimée par le bloc communiste qui envahit le pays et installe Gustáv Husák au pouvoir en 1969. À cette époque, de nombreux réalisateurs tels Miloš Forman, Jirí Menzel, Vojtech Jasný, Vera Chytilová, Jan Nemec, Ivan Passer, Elmar Klos et Ján Kádár travaillaient à Barrandov.

Dans les années 1970, environ 70 films, principalement tchèques, étaient tournés chaque année, mais dans les années 1980, les cinéastes internationaux ont commencé à redécouvrir Prague. Après la Révolution de velours de novembre 1989 qui fit chuter le régime socialiste de Mikhaïl Gorbatchev et l’instauration de la République démocratique, l’entreprise fut à nouveau privatisée.

*

Le thème très religieux du Noël chrétien est ainsi beaucoup moins présent dans les films populaires tchèques en partie à cause de la censure de l’Union soviétique après le coup d’état de Prague en février 1948 par Klement Gottwald qui devint le premier président de la Tchécoslovaquie communiste. Quant aux pohádky, constitués de récits merveilleux et surnaturels destinés à un jeune public, ils font partie des rares films de l’époque à être tournés en couleurs.

Le genre du conte de fée merveilleux pohádkový est issu de la littérature populaire et des récits folkloriques transmis oralement génération après génération, se tissant de nouvelles variations à chaque nouvelle récitation. Leur restitution à l’écrit se fit sous l’impulsion de folkloristes tchèques, déterminés à rassembler et préserver les histoires tout en les formatant à un certain style littéraire académique. C’est en 1819 que W.A. Gerle publie la première anthologie de Contes de fée en Bohème, suivit des ouvrages d’études de Václav Tille (1867-1937) : Contes de fées tchèques d’Erben / Erbenovy České pohádky (1905), Contes de fées tchèques jusqu’en 1848 / České pohádky do roku 1848 (1909), Liste des contes de fées tchèques / Soupis českých pohádek (1930-34). Et l’historien, homme de lettres et traducteur Karel Jaromír Erben (1811-1870) a collecté les chants et contes folkloriques tchèques dont il a cherché à retrouver les versions originelles dans ses Cent contes de fées transnationaux et légendes slaves dans les dialectes originaux / Sto prostonárodních pohádek a pověstí slovanských v nářečích původních (1865). Cette importante figure du Renouveau National tchèque est aussi l’auteur du recueil de poèmes Bouquet de légendes nationales / Kytice z pověstí národních (1853, édition étendue en 1861) basé sur de vieux mythes populaires tchèques.

Car le folklore tchèque bénéficie d’une grande richesse culturelle. Il s’agit d’un héritage national précieux qui se nourrit d’un imaginaire féérique singulier auquel s’incorpore la mythologie slave et la religion chrétienne. Ce patrimoine du merveilleux a grandement nourrit l’inspiration des créateurs tchèques. Comme pour les œuvres musicales du compositeur Antonín Leopold Dvořák (1841-1904) dont son opéra Le Diable et Catherine / Čert a Káča (1898-99) issu d’un conte populaire où une danseuse délaissée prend le diable pour partenaire au grand daim d’un berger amoureux, ou son triomphe Roussalka / Rusalka (1900), le récit tragique d’une nymphe des eaux éprise d’un prince humain dont l’amour la condamne à devenir un Bludička, un esprit morbide aquatique. Quant à Božena Němcová (1820-1862), écrivaine tchèque à mi-chemin entre romantisme et réalisme littéraire, elle est connue pour ses Contes et légendes nationales / Národní báchorky a pověsti (1845-1848) qui puisent dans l’imaginaire des régions de Bohême et de Chodsko et ses Contes et légendes slovaques / Slovenské pohádky a pověsti (1857-1858). Cette grande figure littéraire est la source d’inspiration de la plupart des films de contes.

De gauche à droite : Couvertures des Mythes et légendes slaves de Karel Jaromír Erben illustrés par Věnceslav Černý, des Contes et légendes nationales et Contes et légendes slovaques de Božena Němcová dans plusieurs éditions.

***

Trois Noisettes pour Cendrillon (Tři oříšky pro Popelku, Drei Haselnüsse für AschenbrödelThree Wishes for Cinderella) est un film tchécoslovaque / est-allemand de 1973, réalisé par Václav Vorlíček. L’histoire est adaptée d’une variante du célèbre conte de fée de Charles Perrault écrite par Božena Němcová. Avec l’adorable Cendrillon interprétée par Libuše Šafránková (malheureusement décédée en 2021) et le jeune prince jouée par Pavel Trávníček.

Le réalisateur se serait inspiré du tableau Chasseurs dans la neige de Peter Brueghel l’ancien de 1565 pour forger son esthétique hivernale. Le film fut tourné durant l’hiver 1972-73 dans la région de la Bohème, la forêt Šumava / Böhmerwald ainsi qu’au palais Moritzburg en Saxe allemande et dans les environs du château d’Švihov en Bohême tchécoslovaque. Le scénariste et dramaturge František Pavlíček était alors sur la liste noire du régime communiste en raison de ces engagements politiques dans le Printemps de Prague en 1968. Pour échapper à la censure qui l’accablait, son nom fut remplacé par celui de Bohumila Zelenková.

Véritable classique pour les fêtes de fin d’année dans de nombreux pays d’Europe, il possède un charme désuet et enchante par sa douceur, ses décors et ses costumes. En France, il a été diffusé en quelques rares occasions dans les années 1970 et 1990. Ce film est si populaire que la Norvège a crée sa propre adaptation Tre nøtter til Askepott, sortie en novembre 2021.

***

La Fière Princesse (Pyšná princezna, The Proud Princess) sorti en 1952 est le chef d’œuvre du réalisateur Bořivoj Zeman, figure majeure de la tradition tchèque des films de contes de fées.

Inspiré là encore des écrits de Božena Němcová, le conte met en scène Krasomile, princesse hautaine et orgueilleuse jouée par Alena Vránová, dont le prétendant, le généreux et noble roi Miroslav, interprété par Vladimír Ráž, décide de lui jouer un tour pour améliorer son caractère. Déguisé en jardinier, il fait pousser une fleur chantante qui ne peut cesser sa mélodie tant que la princesse reste égoïste. Celle-ci s’éprend du jardinier et s’enfuit avec lui à travers le royaume où elle découvre la vie ordinaire du peuple et apprend l’humilité.

Ce film extrêmement populaire est l’un des plus diffusés dans les cinémas nationaux. Des expositions saisonnières, présentant les accessoires ou les costumes du films, sont organisées au sein du château de Telč dans la région de Vysočina. Fait singulier, les deux acteurs principaux sont tombés amoureux l’un de l’autre durant le tournage, ce qui provoqua le divorce d’Alena Vránová qui était encore mariée au poète Pavel Kohout.

***

Le prince et l’étoile du soir (Princ a Večernice, The Prince and the Evening Star) réalisé par Václav Vorlíček en 1978. Il s’agit d’un autre grand classique de Noël, avec à nouveau Libuše Šafránková pour jouer la douce Étoile du Soir et Juraj Ďurdiak en prince Velen.

Le scénario a été écrit par Jiří Brdečka sur la base du conte de fées de Božena Němcová À propos d’un parasol, d’un clair de lune et d’un moulin à vent (O Slunečníku, Měsíčníku a Větrníku). L’histoire du prince Velen amoureux de la belle Étoile du Soir, dont les frères les Rois du Vent, de la Lune et du Soleil sont mariés aux sœurs du prince. Mais le méchant sorcier Mrakomor qui contrôle les mauvais temps, convoite l’Étoile du Soir. Pour le vaincre, Velen s’associe à ses beaux-frères et affronte de nombreuses épreuves.

***

La Princesse à l’étoile d’or (Princezna se zlatou hvězdou na čele, The Princess with the Golden Star) réalisé en 1959 par Martin Frič, avec Marie Kyselková pour incarner la Princesse, est un film féérique dont les dialogues sont prononcés en vers.

A nouveau basé sur un conte de Božena Němcová et du folkloriste Pavel Dobšinský (1828-1885), il s’agit d’une variante du motif de la princesse dissimulée sous une forme hideuse comme dans Peau d’Âne de Charles Perrault de 1694, Peau-de-mille-bêtes (Allerleirauh) des frères Grimm de 1819 ou encore Peau de Cochon (Свиной чехол, Svinoï tchekhol) d’Alexandre Afanassiev de 1855. Dans un autre conte des frères Grimm de 1810, Prinzessin Mäusehaut, la benjamine du roi compare son amour pour son père à du sel ce qui provoque la colère du souverain et la fuite de son enfant cachée sous des fourrures de souris.

Dans le film, la princesse Lada est née avec une étoile d’or sur le front. Son père souhaite la marier à Kazisvět, un roi riche et maléfique (dans la version papier, il y a tentative d’inceste). Pour échapper à cette union, la princesse revêt un manteau en fourrure de souris et s’enfuit. Réfugiée dans le royaume voisin, elle s’y cache sous l’identité d’une fille de cuisine, n’ôtant ses affreuses peaux que pour illuminer la salle de bal avant de s’éprendre du prince.

***

La princesse incroyablement triste (Šíleně smutná princezna, The Incredibly Sad Princess) dirigé par Bořivoj Zeman est sorti en 1968, deux mois seulement avant l’invasion de la Tchécoslovaquie par le Pacte de Varsovie qui débuta dans la nuit du 20 au 21 août 1968.

Il s’agit d’une comédie musicale jouée par la chanteuse tchèque Helena Vondráčková et l’acteur Václav Neckář qui partage leurs prénoms avec les personnages du film. On y découvre le prince Václav qui voyage avec son père pour se rendre à ses fiançailles sans grande conviction. Il décide de se glisser dans les jardins royaux et rencontre la princesse Helena qui, ignorant son identité réelle, tombe amoureuse de lui.

***

La Petite Sirène (Malá mořská víla, The Little Mermaid) est un film fantastique du réalisateur Karel Kachyňa tourné en 1976 qui adapte le célèbre conte de Hans Christian Andersen, Den Lille Havfrue paru en 1837.

Le film met en vedette Miroslava Šafránková (sœur de l’actrice Libuše Šafránková) en fille du Roi des Mers (joué par Radovan Lukavský) amoureuse du Prince de l’Empire du Sud interprété par Petr Svojtka. Comme dans le conte original, la jeune ondine doit choisir entre la vie terrestre et son immortalité aquatique. Si l’intrigue est connue, la mise en scène éthérée aux reflets bleutés donne au film une atmosphère onirique enchanteresse. C’est un conte de fée triste et poignant à l’ambiance presque mystique, servit par de somptueux décors et des costumes originaux.

***

La Belle et la Bête (Panna a netvor, The Virgin and the Monster) est une romance horrifique réalisée par Juraj Herz en 1978.

Comme dans l’œuvre de Mme Leprince de Beaumont, un marchand veuf et ruiné se perd dans une forêt et découvre une demeure abandonnée où vit un monstre terrifiant, mi-homme mi-faucon, qui menace de le tuer s’il ne lui donne une de ses filles en prisonnière. Attristée par le sort de son père, la belle Julia se sacrifie et se livre à l’étrange créature. Le monstre lui cache son apparence et lutte contre les pulsions meurtrières qui le hante à mesure qu’il s’éprend de la jeune femme.

Film crépusculaire et sombre, issu de la Nouvelle Vague tchèque, sa création failli provoquer la ruine du réalisateur qui souffrit d’un AVC dû au stress, en raison de la décoration coûteuse crée par l’architecte Vladimír Labský et des retards pris par le compositeur Petr Hapka. Au final, le film est une merveille à l’esthétique décadente inspirée des peintures de Max Ernst, magnifiée par sa bande sonore lancinante et la prestation torturée du danseur Vlastimil Harapes en monstre tragique et grotesque qui donne la réplique à Zdena Studenková.

***

Voilà une petite sélection de films magiques pour accompagner le repas de Noël tchèque traditionnel, avec un achat de carpe vivante, que l’on fera frire et dont les écailles seront cachées sous les assiettes pour faire venir la bonne fortune, le tout accompagné d’une salade de pommes de terre. Sans oublier les délicieux Linecké sušenky, des sablés à la confiture de framboise et le pain sucré traditionnel Vánočka, tressé en neuf brins et qui symbolise l’enfant divin enveloppé dans ses langes.

SOURCES :
  • Kabakova, Galina. « Les contes vus par le cinéma soviétique (années 1930-1950) », ILCEA, 20 | 2014,
  • Le fan-site allemand très fourni sur Cendrillon les Trois Noisettes
  • Zazzo, Bianka. Le cinéma. In: Enfance, tome 10, n°1, 1957. pp. 71-78.

Laisser un commentaire