Jung Jaehan – Carnets d’enquête d’un Beau Gosse nécromant

La réinvention du chamanisme coréen

Ce roman atypique décrit comme une comédie policière est le fruit d’une jeune web-autrice, Jung Jaehan 정재한, qui incarne la nouvelle génération littéraire coréenne. Publié sur internet sous la forme d’un roman-feuilleton, son récit a remporté le prix Kakao du roman en ligne en 2018. Un prix issu de l’application mobile KakaoTalk 카카오페이지 모바일, équivalent du Snapchat occidental, aux icônes cultes et employée par la quasi-totalité des coréens. En France, le roman a été publié aux éditions Matin Calme en 2020. Jung Jaehan avait commencé sa carrière d’écrivain numérique en 2016 avec une romance historique Yeonhwajeon 연화전 (adapté aussi en webtoon 웹툰), suivit du thriller Le mystère de Mangwon-dong 망원동 미스터리 en 2017.

De gauche à droite : Couvertures de The Minamdang en vo et vf, Yeonhwajeon et sa version webtoon, Le mystère de Mangwon-dong

Les Carnets d’enquête d’un Beau Gosse nécromant ou 미남당 사건수첩 minamdang sageonsucheob / The Minamdang Case Note en vo, se réapproprie avec une ironie mordante la figure traditionnelle du chamane, modernisée sous les traits d’un bellâtre rusé, prétentieux et mystificateur : Nam Han-jun 남한준. Un excellent orateur ayant un goût prononcé pour le luxe, le costumes italiens faits sur-mesure, les restaurants chics et l’exagération. Il est secondée par sa sœur cadette Nam Hye-jun 남혜준, génie précoce du hacking, engagée par les bureaux du FBI après avoir réussit à leur pirater des fichiers confidentiels mais virée tout aussi vite pour avoir entrainé ses coéquipiers dans le jeu professionnel ; et par le débonnaire Su-cheol 수철, colosse amateur d’armes à feu factices et de blockbusters dont il aime à citer les répliques cultes. Tandis que la redoutable informaticienne effectue le travail de recherche pour dénicher toute infos utiles sur les activités des clients désœuvrés (relevé de compte, conversation téléphonique, réseaux sociaux et autres), l’homme d’action Su-cheol met à profit son entreprise de détectives privés pour fouiller dans l’intimité secrète de leurs richissimes cibles.

Les trois acolytes forment ainsi une fine équipe d’escrocs (sagikkun 사기꾼), toujours partants pour arnaquer les grands de ce monde à coup de talismans, de transes et d’insultes bien senties. Or les ennuis commencent lorsqu’une fidèle cliente se plaint d’être hantée par un fantôme. Un fantôme inexistant qui les mènent vers un cadavre bien réel et une succession d’aventures rocambolesques. Car la morte se révèle être la victime d’un trafic scabreux où trempent des personnalités importantes, le tout orchestré par une mystérieuse et machiavélique chamane nommée Tante Im 임 고모. Le trio va se retrouver mêlé à des complots toujours plus complexes, au coude à coude avec la brigade criminelle du commissariat local et son inspectrice, l’opiniâtre Han Ye-eun 한예은, si discrète et intuitive que ses collègues la surnomme Han Fantômette / Han Gwi 한귀 (dérivé du mot gwishin 귀신 ‘fantôme’).

Les trois compères et le fameux Sanctuaire du Beau Gosse, source

Le récit s’ouvre sur un prologue tonitruant, voyez plutôt :

Lorsque vous arrivez au 777-17, quartier Yeonnam, arrondissement de Mapo, Séoul, vous vous trouvez devant une grande maison fermée par un portail écarlate. Cette couleur flamboyante n’est d’ailleurs pas moins tape-à-l’œil que l’enseigne fixée à la porte annonçant fièrement « Sanctuaire du Beau Gosse », avec ses coordonnées. De fait, le seuil est usé jusqu’à la corde par une cohue de clients déchaînés qui se succèdent à toute heure du jour. Le carnet de réservation est plein à craquer et il est fréquent de devoir attendre plus d’un mois avant d’avoir la chance d’obtenir un rendez-vous, ce qui n’empêche pas les gens de se bousculer pour essayer d’entrer, voir ça au moins une fois dans leur vie. On se demande bien ce qui peut susciter un tel engouement, surtout quand on sait qu’à peine vous avez fait glisser la porte coulissante, deureureuk, et posé un pied dans le cabinet de consultation :

– Eh alors, mon salopard ! T’es pas un peu culotté d’oser venir trimballer toutes tes forces maléfiques chez moi ?

C’est ainsi que vous faites connaissance avec celui qui vous hurle dessus à vous vriller les tympans, et qui va continuer à vous engueuler sans vous laisser en placer une, ni le temps de souffler. Il faut dire que ce qu’il vous balance, c’est du lourd !

서울시 마포구 7770-17번지에는 빨간 대문 집이 하나 있다. 요사스런 기운을 풍기는 대문 색깔만큼이나 `미남당`이라고 쓰인 간판과 주소지 역시 요상하기는 매한가지다. 그럼에도 불구하고 연일 찾아오는 이들로 인해 문지방이 닳아 없어질 정도로 분주하고 시끌벅적하다. 매일같이 예약이 미어터져 자신의 순번이 돌아오기까지 한 달이 넘는 일도 부지기수이지만, 사람들은 어떻게든 한 번이라도 이곳을 찾아오려고 아우성이다. 그 이유가 무엇인고 하니, 창호지가 덧발라진 장지문을 드르륵 열고 방 안에 들어오는 순간.

– 네 이놈, 어딜 감히 부정을 달고 와!

라고 귀청이 떨어져라 고함을 지르는 이가 있는데, 다짜고짜 욕 들어먹은 당신이 항의할 틈도 없이 일갈이 이어질 것이다. 헌데 그 내용이 기가 막히다.

Musok, mudang et sin

Le chamanisme coréen (한국무속신앙 hanguk musok sinang) est un système de pensée animiste dont les racines, très anciennes, semblent de mêler aux pratiques chamaniques sibériennes d’Asie Centrale mais aussi chinoises (Perrin : 2001; Lewis : 1977). Bien qu’il existe de plusieurs appellations, c’est le terme musok 무속 / 巫俗 qui est communément employé ; issu du sino-coréen 무 mu, en chinois 巫 wu (‘chamane’, ‘sorcier’, ‘medium’). Le musok se repose sur un mode d’ordonnancement du monde où les humains cohabitent avec des entités invisibles (divinités, esprits, fantômes 신 /神 sin, mais aussi ancêtres 조상 josang).

Le rôle du chamane est donc de permettre la communication entre ces deux mondes afin d’en préserver l’équilibre (Kendall : 1998; Guillemoz : 2010). En Corée, les chamanes femmes (les plus nombreuses) sont souvent appelées mudang 무당 / 巫堂 ou encore manshin 만신, tandis que leur homologues masculins sont désignés comme gyok mudang 격무당 ou paksu mudang 박수무당 (Kendall : 1991). Il existe différents types de chamanes dont les héréditaires (sesup mu 세습무, qui forment des lignages) ou les charismatiques (kangshin mu 강신무, qui travaillent de façon indépendante – ce sont les plus représentatifs).

Se jouant allègrement des clichés, notre Beau Gosse Nam Han-jun, se fait passer pour un paksu mudang 박수무당 et demande à être appelé “Maître” (sansengnim 선생님 ‘professeur’) par ses clients. La version française le qualifie de « nécromant » ou jeomjaengi 점쟁이 ‘diseur de bonne aventure’. Imitant le comportement des chamanes charismatiques, il mime des possessions d’esprits, s’invente le patronage d’un esprit tutélaire (momju 몸주) au sein de son sanctuaire (shindang 신당 / 神堂), possède son propre réseau de clientèle et fait passer ses associés pour ses successeurs, ses enfants spirituels.

Un nécromant à la langue bien pendue qui n’hésite pas à houspiller ses clients fortunés. Il possède ainsi toutes les caractéristiques du chamane et n’hésite pas à utiliser le vocabulaire et les pratiques de la profession. Ainsi, en lieu et place du hanbok 한복 de cérémonie (mubok 무복 / 巫服), il porte des costards Armani, brandit des sonnailles faites de grelots scintillants (bangul 방울) dont le son métallique attire les bons esprits, et propose des oracles et talismans hors de prix. L’autrice s’est habilement inspirée de la dimension performative du chamane, qui se met littéralement en scène par des chants rituels (muga 무가 / 巫歌, que l’escroc remplace par des paroles de rap ou de pansori), des exclamations pleines d’émotion, des sauts et des danses menant à la transe.

Bon, allez, un talisman, et tu t’en vas.

거, 부적 한 장 쓰고 가봐.

Mais comment un tel bonimenteur arrive-t-il à maintenir la supercherie? S’il possède cette incroyable faculté de lire dans l’âme des gens, ce n’est pas grâce à ses pouvoirs spirituels mais à son expérience d’ancien profileur (peulopailleo 프로파일러) et surtout aux renseignements précieux apportés par sa petite équipe. En bon manipulateur, il emploie avec brio les données accumulées pour servir des divinations hallucinées et des possessions factices mais spectaculaires : « Alors Han-jun en transe se met à déblatérer une suite de mots incompréhensibles sans cesser de secouer ses grelots puis soudain s’arrête net. L’assistance stupéfaite retient son souffle. »

Han-jun commence à secouer la sonnaille. Les grelots tintent, ttallang ttallang ttallang, ils tintinnabulent… Tous ces petits chocs métalliques résonnent dans la pénombre. Ses pupilles contractés lui confèrent une allure redoutable. Le gamin se plaque contre la palissade avec un cri.

– L’Esprit est là, il vient, il vient…

Han-jun fait le coup des yeux révulsés. L’autre terrorisé à la vue de ces yeux blancs qui clignent violemment, se cramponne à la rambarde.

Han-jun, le Beau Gosse nécromant dans toute sa splendeur, source

Des morts et des vivants

Dans le chamanisme coréen, il est avant tout question de communication avec l’autre monde, un lieu lointain d’où proviennent les âmes des proches disparus mais aussi d’entités malveillantes et néfastes pour les vivants. Endossant un rôle de conciliateur et d’intercesseur auprès des divinités, le chamane apporte des réponses à ce qui est difficilement explicable. Il permet de communiquer avec l’âme des défunts et de participer au processus de guérison et de deuil. Ainsi, lors d’une cérémonie chamanique (gut 굿), l’esprit du proche disparu pourra descendre sur terre et exprimer ses regrets à sa famille ; il sera aussi possible de calmer l’âme d’un esprit courroucé pour qu’il puisse enfin trouver le repos et cesser de tourmenter ses proches. Les malheurs sont ainsi rationalisés par la parole du chamane qui offrira sa propre interprétation aux maux des ses patients.

Même Han-jun, aussi factice soit-il est capable d’apaiser par ses mots les difficultés de ses clients. Il parvient ainsi à persuader un adolescent de ne pas se suicider et sa mère de faire plus attention à son fils. En cela, il diffère singulièrement de sa rivale, la puissante mais mauvaise Tante Im, qui préfère user de son influence pour manipuler et corrompre les gens plutôt que de les aider à améliorer leur vie.

Normalement, les événements néfastes frappent comme la foudre, alors que les fastes murmurent. Si tu sais regarder autour de toi, tu verras que le monde te chuchote à l’oreille.

Ainsi qui dit chamane dit nécessairement esprits, et notamment esprits des morts. Le roman de Jung Jaehan est un polar humoristique qui se focalise sur une enquête criminelle et la dissolution d’un réseau pervers tentaculaire. S’il n’y a pas de fantôme, il y a des cadavres, des victimes qui demandent justice. Le funèbre et le chamanisme sont d’ailleurs intrinsèquement liés. Le cinéma ne s’y est pas trompé et nombres d’œuvres policières, horrifiques ou fantastiques emploient les figures du chamane et du fantôme, comme pour insister sur le rapport intime que nous entretenons avec les morts.

Ainsi, le drama Possessed 빙의 (2019) de la chaîne OCN met en scène une jeune chamane et un enquêteur luttant contre un mauvais esprit capable de posséder et de tuer les humains. Le thriller familial The Village: Achiara’s Secret  마을 – 아치아라의 비밀 (2015) ne cesse d’évoquer la disparition d’une morte. C’est sans compter la multitude de séries mettant en scène des héros capables de voir les fantômes, aptitude fréquemment associée aux pouvoirs des chamanes, comme The Great Shaman Ga Doo Shim 우수무당 가두심 (2021), Bring It On, Ghost 싸우자귀신아 (2016), Oh My Ghost 오 나의 귀신님 (2015), The Girl’s Ghost Story 소녀괴담 (2014), The Master’s Sun  주군의 태양 (2013) … La présence du surnaturel associé au chamanisme dans les œuvres audio-visuelles témoigne de l’attrait du public et de la survivance des chamanes dans la Corée contemporaine.

De gauche à droite : Affiches des dramas Possessed, The Village : Achiara’ s Secret, Bring It On, Ghost, The Girl’s Ghost Story, The Master’s Sun

Le beau gosse aux grelots semble d’ailleurs avoir séduit les producteurs, car une adaptation télévisée devrait voir le jour en 2022 avec les acteurs Seo In Guk 서인국 (Reply 1997, The Smile Has Left Your Eyes, Doom at Your Service) et Oh Yeon Seo 오연서 (My Sassy Girl, A Korean Odyssey, Mad for Each Other). Car, taillé pour le cinéma, le roman de Jung Jaehan prend des allures de scénario. Les descriptions sont ultras visuelles et s’imaginent comme des scènes filmées. L’utilisation massive d’onomatopées parsème le récit et lui donne une dimension sonore. L’écriture est vive et sans ambages, offrant un rythme soutenu et un dynamisme vibrant. Quand aux dialogues, ils sont écrits comme des répliques de films, ancrés dans une oralité familière voir outrancière. Les personnages s’insultent copieusement et se bastonnent avec ce goût pour le grotesque propre aux polars sud-coréens.

« Il essaie d’ouvrir les yeux. Y parvient à peine. Il a dû s’en prendre des sévères dans cette région. Ses lèvres écorchées le brûlent, il les essuie d’un revers de la main. Qu’elles tachent de sang.

– Merde, mon gagne-pain.

[…] Su-cheol est étendu à côté de lui. Il n’a pas pu suivre le déroulement des évènements mais manifestement celui-ci s’en est pris dix fois plus que lui dans la tronche. Han-jun entreprend de le réveiller en lui flanquant quelques baffes, sans qu’aucun résultat s’ensuive. « 

Bande annonce du roman

Divination, entre succès et polémique

Les pratiques magiques ayant trait au surnaturel ont toujours été teintées d’ambivalence. Simples croyances, mensonges illusoires ou véritables esprits invisibles? Difficile d’avoir un avis clair sur la question. Si rien n’affirme la véracité des pouvoirs spirituels, rien de démontre leur inefficacité. Dans une société où les individus se cherchent continuellement, tentent de vivre au mieux malgré des angoisses toujours plus présentes, le chamanisme, comme tout autre système de pensée, offre une voie de rationalisation, un soutien et un semblant de réponse.

La divinisation n’est pas nouvelle en Corée et fait partie du quotidien. Il est coutume pour les entreprises de faire appel à des chamanes pour connaître les meilleurs emplacements grâce à la géomancie ou de fixer les dates propices à l’organisation de mariages, funérailles, évènements ou autre. Se placer sous l’apanage des divinités, c’est surtout se garantir la présence de bons auspices pour le futur: « Vous ne devez pas en parler à la légère. Sans rituel de la chance, il est plus que probable que notre avenir soit pestiféré. Rien de ce qu’on entreprend ne marche », déclare ainsi une actrice à un PDG malchanceux qui va s’empresser de prendre rdv avec Han-jun.

En parallèle du chamanisme coréen qui protège des mauvais esprits, éloigne la malchance ou soigne les âmes, il est possible de rencontrer des diseurs de bonne aventures utilisant le saju (사주/四柱), des devins ou des astrologues adeptes de chiromancie ou de tarot. La lecture du destin est un business qui séduit une jeune génération en quête de sens et on observe une résurgence des pratiques divinatoires, mêlée de nouvelles technologies au sein de cafés de voyance branchés qui cohabitent avec les tentes érigées à la va-vite dans la rue. Très proches des séances de voyance occidentales, ces consultations rapides et bon marché permettent notamment de connaître sa compatibilité amoureuse.

Le pouvoir que vous avez utilisé pour jeter des malédictions, il va se retourner contre vous. Car la vie est un miroir. 

자신의 힘을 저주에 썼으니, 그대로 돌아올 겁니다. 인생은 거울이니까.

Mais toute pratique possède ses dérives, et le chamanisme n’a pas acquis sa mauvaise renommée sans raison. Outre le lent travail de dépréciation orchestrée par le pouvoir au cours de la dynastie Joseon par des lettrés néo-confucéens bien décidés à garder le monopole du pouvoir religieux, l’époque moderne et les différents gouvernements se sont appliqués à faire disparaitre des ‘superstitions arriérées’ (mishin 미신 / 迷信) (Walraven : 1993). Ajouté à cette histoire mouvementée, les chamanes ont acquis la réputation peu flatteuse d’arnaqueurs abusant de la crédulité de leur clients en monnayant des pratiques à des tarifs exorbitants.

Le sanctuaire du Beau Gosse ferme à 18 heures. La raison officielle s’énonce ainsi : « Si je vous fais une divination la nuit, les forces lunaires sont telles que vous, simple client, risquez de vous retrouver englué par un esprit », quant à la vraie raison, c’est qu’ « un dîner gastronomique, c’est le luxe en soi », devise autoproclamée de Han-jun.

Il suffit de voir le portrait peu reluisant que certains dramas offrent à ces personnages, notamment féminins, pour constater combien cette image négative est devenue archétypale. Dans la série historique Hometown Legends 전설의 고향 (2008), la chamane prend des allures de sorcière adepte de magie noire et lanceuse de macabres malédictions, tout comme dans Mirror of the Witch 마녀보감 (2016) ou The Moon Embracing the Sun 해를 품은 달 (2012). Dans sa version contemporaine, elle prend la forme d’une femme d’âge mûr, outrageusement maquillée, vêtue de vêtements bariolés, le regard acéré et la gouaille agile, toujours prompte à faire payer au prix fort ses prestations de devineresse.

De gauche à droite puis de haut en bas : Les multiples versions de la mudang à la télévision (Hometown Legends; Moon That Embraces The Sun, The Village, Mirror of the Witch, Possessed) et un exemple de paksu mudang (Possessed)

A ce titre, le roman semble s’inspirer du scandale politico-religieux Choi Soon-sil 박근혜-최순실 게이트 ayant eu lieu en 2016 et qui a conduit à la destitution de la présidente Park Geun-hye 박근혜. Une sombre affaire d’influence entre la fille d’un prédicateur mi chamane mi évangéliste d’une « Église de la vie éternelle » Choi Soon-sil, et la fille du général Park Chung-hee 박정희 (à la tête du régime autoritaire en 1962-1979). Corruption, abus de pouvoir, falsification… des magouilles dans lesquelles nombres de puissants étaient impliqués et qui ont grandement choqué l’opinion publique. Cette question de l’influence des chamanes dans la sphère politique a d’ailleurs été abordée en 2020 dans le drama The Cursed 방법 où la jeune mudang Jung Ji So 정지소 (Parasite), aidée de Uhm Ji Won 엄지원 (The Silenced), s’oppose au pouvoir destructeur de la puissante gourou Jo Min Soo 조민수 (Pieta).

Fort heureusement, la figure jadis si méprisée des chamanes tend à reconquérir ses lettres de noblesse. Outre le travail de préservation mis en place par le gouvernement pour protéger ce patrimoine immatériel vivant, l’attrait de la jeune génération pour les pratiques ésotériques donne un nouveau souffle à la profession. Les dramas les plus récents offrent une vision bien plus positive de ce surnaturel de l’ordinaire comme en témoigne les séries fantastiques : Sell Your Haunted House 대박부동산 (2021), The Witch’s Diner 마녀식당으로 오세요 (2021), The Great Shaman Ga Doo Shim 우수무당 가두심 (2021), The Uncanny Counter 경이로운 소문 (2021) , Hotel del Luna 호텔 델루나 (2019), The Ghost Detective 오늘의 탐정 (2018), The Guest 손 (2018).

De gauche à droite : Affiches des dramas Sell Your Haunted House, The Witch’s Diner, The Great Shaman Ga Doo Shin, The Uncanny Counter, Hotel del Luna
SOURCES :

NB : Ceci n’est qu’un minuscule aperçu de la richesse incroyable du chamanisme coréen. J’ai puisé allègrement dans mon ancien mémoire de recherche (dont je me refuse à vous donner le lien tant il comporte de lacunes. Comme quoi, relire son travail des années après permet de prendre du recul). Je ne vais donc pas m’étendre sur le sujet (que j’affectionne particulièrement) car j’ai bien l’intention de revenir dessus plus tard tant il y a de choses à dire. Je vous propose quand même quelques sources bibliographiques pour les plus curieux d’entre vous :

  • BIDET, Eric (trad.) ; COLLECTIF. Traditions, rituels, croyances, anthropologie coréenne. Paris : Les Indes savantes, coll. « Monde coréen », 2005
  • COLLECTIF. Korean Shamanism, Revivals, survivals, and charge. Séoul : The Royal Asiatic Society Korea Branch, 1998
  • GUILLEMOZ, Alexandre. La Chamane à l’éventail, Récit de vie d’une mudang coréenne suivi de La chamane et l’ethnologue. Paris : Imago, 2010
  • KIM Keum-Hwa. Partageons le bonheur, dénouons la rancœur. Récit de la chamane aux dix mille esprits. Paris : Imago, 2015
  • SETH, Michael J. Une histoire de la Corée, de l’Antiquité à nos jours, An History of Korea, From Antiquity to the Present. Lanham (Maryland) : Rowman & Littlefield, 2011, XI-573p.

Challenge littéraire : L’Automne Coréen

L’équinoxe est passé, nous célébrons la venue de l’Automne aux mille couleurs. Sous l’impulsion d’Emy de la chaîne littéraire Antastesialit, les mois d’Octobre et de Novembre aurons un petit goût de piment, de miel et de sauce soja. Pendant cette période, la Corée est à l’honneur!

Le moment idéal pour plonger au cœur de la culture coréenne et d’échanger sur toutes sortes de sujets : littérature de la poésie classique de Choi Chiwon aux weebtoons de Naver, cinéma des films d’auteur aux kdamas, musique du pansori à la kpop, cuisine du kimpap au jajangmyeong, histoire des Trois Royaumes à l’hypothétique réunification… Pour les intéressés, n’hésitez pas à parcourir les propositions de lectures d’Emy.

Littérature

Pour ma part, j’avais très envie d’écrire un article sur un roman historique se déroulant à l’ère Joseon mais, trop chronophage, je vais devoir remettre le projet à plus tard. Mon choix s’est donc porté sur cinq romans assez hétéroclites :

Nokcheon suivit de Un éclat dans le ciel de Lee Chang-dong 이창동 (녹천에는 똥이 많다 1992) publiés aux éditions du Seuil. Auteur et cinéaste engagé, Lee Chang-dong nous livres deux récits politiques qui font écho au régime militaire des années 80 dans une volonté de dénoncer l’oppression de la dictature.

Ma très chère grande sœur de Gong Ji-young 공지영 (봉순이 언니 1998), publié aux éditions Philippe Picquier. Ce récit, c’est un hommage rendu à Bongsoon unni, grande-sœur Bongsoon, la gentille jeune fille au large sourire qui prend soin de la narratrice pendant son enfance dans la Corée en mutation des années 60. Un témoignage tendre et poignant sur le Séoul des miséreux à travers les yeux de la fillette que fut la romancière.

Toutes les choses de notre vie de Hwang Sok-yong 황석영 (낯익은 세상 2011), publié aux éditions Philippe Picquier. Loin, très loin des beautés artificielles de la tentaculaire Séoul, vivent les perdants de la société du progrès, du prestige et du succès. Les sans-abris invisibles, naufragés d’une île décharge, qui contemplent avec une philosophie poétique la vacuité d’un monde qui les a oublié. L’immense auteur coréen se fait à nouveau le porte parole des sacrifiés du miracle économique coréen, lui qui critique depuis toujours l’injustice et l’intolérance dans des récits à l’écriture puissante.

Le Gambit du renard de Lee Yoon-ha (Ninefox Gambit 2016). Il s’agit du premier tome d’une trilogie space-opéra, Les Machineries de l’Empire, publié par les éditions Lunes d’Encre puis Folio SF. Une toile de fond militaire où une générale accueille en elle l’âme d’un dangereux stratège pour mater une rébellion qui met à mal l’ordre de l’empire stellaire. L’auteur, américain d’origine coréenne et mathématicien de formation, a écrit de nombreuses nouvelles de SF et de fantastique. Peu familière des sagas spatiales en littérature, je suis assez intriguée par ce roman et je me demande quels éléments issus de la culture coréenne l’écrivain a pu distiller dans son récit?

Carnets d’enquête d’un beau gosse nécromant de Jung Jaehan 정재한 (The Minamdang Case Note 미남당 사건수첩). Une ‘comédie policière’ de 2018 écrite par une web-autrice à succès, publiée aux éditions Matin Calme qui suit les péripéties d’un chamane bellâtre fort populaire mais parfaitement factice, amateur de luxe, d’insultes et d’arnaques au talisman. Ce qui s’éloigne sensiblement du rôle logiquement attendu. Il faut dire qu’avec une sœur cybernaute génie du hacking et un ami détective privé, les trois compères ont de quoi animer leur escroquerie. Sauf qu’un jour, une cliente le contacte pour une histoire de fantôme et les voilà avec un cadavre sur les bras…

Panel des couvertures en version originale

Kdramas

En ce qui concerne les kdramas, Emy nous propose le visionnage de 4 séries assez récentes : la série fantastique Goblin (2016), le thriller Save Me (2017), le drame historique Mr Sunshine (2018), et la comédie familiale Reply 1988 (2015-2016). Si vous me lisez, vous savez que j’apprécie déjà Goblin et Reply 1988, ce qui me laisse deux nouveaux dramas à découvrir :

Save Me 구해줘 est un thriller qui traite d’un sujet peu évoqué : les sectes et leur pouvoir destructeur. La série est diffusé sur la chaîne OCN, réputée pour ses dramas policiers à suspens (Tunnel 터널 2017, The Guest 손 2018, Strangers from Hell 타인은 지옥이다 2019 …). Il s’agit d’une adaptation du webcomic Out of the World 세상 밖으로 de Jo Geum-san 조금산.

Une famille venue de Séoul emménage dans le comté rural de Muji (inspiré de la ville de Cheongju, située dans la province centrale du Chungcheongbuk-do) et croise la route de quatre jeunes lycéens qui les aide après une panne de voiture. Les garçons sont vite charmés par leur fille, la belle Sang-mi qui va dans la même école. Mais les malheurs s’abattent sur la famille : le père est ruiné, le fils harcelé se suicide et la mère sombre dans une dépression. Leur voie de salut : la communauté religieuse locale de Guseonwon 구선원, si serviable et avenante, qui leur tend une main secourable inespérée.

Pourtant derrière les paroles doucereuses de charité et de pardon, se cache un piège terrible. Sang-mi voit impuissante ses parents se faire engloutir dans le culte du Tout Puissant 새하늘님, mené par la figure messianique du charismatique Père Spirituel (영부/靈父) Baek Jung Ki. La voilà prisonnière de l’église, à la merci de ses ambitions démoniaques. Le quatuor mené par les courageux Sang-hwan et Dong-cheol va alors tenter de la libérer après avoir entendu son appel désespéré : « Sauvez-moi ».

Le rôle titre est tenu par Seo Yea Ji 서예지 qui a notamment brillé dans le healing drama It’s Okay to Not Be Okay 사이코지만 괜찮아 (2020). Ses sauveurs sont incarnés par Ok Taec Yeon 옥택연, ancien membre du groupe 2PM, vu dans Dream High 드림하이 (2011) et Bring It On, Ghost 싸우자 귀신아 (2016) ; et Woo Do Hwan 우도환 (Mad Dog 매드 독 2017). Ils affrontent Jo Sung Ha 조성하, connu pour ses rôles secondaires dans de multiples dramas. Certains acteurs imitent le dialecte satoori 사투리 ce qui leur donne un accent inhabituel très amusant (qu’on retrouve d’ailleurs dans Reply 1988).

En Corée, toutes les organisations religieuses sont égales devant la loi mais l’état n’en ressence aucune. Elles bénéficient donc d’une immense liberté d’action car il n’existe pas de règlementation particulière. La religion protestante composée de baptistes, d’évangélistes ou de presbytériens est particulièrement dynamique. En témoigne les multiples croix rouges illuminées qui pullulent dans le paysage urbain nocturne. De nombreuses nouvelles religions sont des dérivations chrétiennes.

Le Guseonwon évoque ainsi les sectes du Salut 구원파 comme l’Église de l’Unification plus connue sous le nom de secte Moon (qui comprend plus d’un million de fidèles) dont le fondateur Sun Myung Moon se considère comme le nouveau Messie ou l’Église Shincheonji de Jésus 신천지예수교 증거장막성전 dont le chef spirituel se décrit comme un prophète immortel.

Les sectes coréennes font l’objet de multiples scandales. Elle sont régulièrement épinglées pour leurs liens douteux avec les partis politiques, l’embrigadement de leurs membres, leurs abus ou leurs refus de suivre les recommandations sanitaires. Certains témoignages évoquent des tentatives de recrutement auprès des jeunes ou des étrangers, et il n’est pas rare de voir déambuler dans les rues ou le métro, et ce dans l’indifférence générale, des prédicateurs persuadés de l’Apocalypse prochaine et de la venue du Sauveur.

OCN va poursuivre son exploration du fanatisme religieux en 2018 avec le drama Children of A Lesser God 작은 신의 아이들 où deux enquêteurs tentent de sauver des enfants élevés dans une secte.

Mr Sunshine 미스터 션샤인 est un sageuk (série historique) qui nous plonge dans la Corée du début du XXe siècle occupée par les japonais. On y suit le parcours d’un jeune esclave (nobi 노비/奴婢 selon l’ancien système de caste de l’ère Joseon), de sa jeunesse difficile à l’âge adulte, entre sa fuite vers les USA et son incorporation dans la marine militaire, jusqu’à son retour au pays où il rencontre une jeune aristocrate (yangban 양반/兩班). Il apprend en parallèle l’existence d’un complot visant à annexer la Corée par les forces étrangères.

Le héros est joué par Lee Byung-hun 이병헌, acteur phare du réalisateur Kim Jee Woon, connu pour ses rôles dans le western déjanté The Good, The Bad, The Weird 좋은 놈, 나쁜 놈, 이상한 놈 (2008), le thriller I Saw the Devil 악마를 보았다 (2010), le film de mafieux A Bittersweet Life 달콤한 인생 (2005) ou encore l’action drama IRIS 아이리스 (2009).

Il est secondé par la talentueuse Kim Tae-ri 김태리, mondialement acclamée pour sa prestation dans le drame psychologique Mademoiselle 아가씨 (2016) de Park Chan-wook 박찬욱, une adaptation du sensuel roman de Sarah Waters Du bout des doigts (Fingersmith). Elle s’est aussi distinguée dans le très poétique Little Forest 리틀 포레스트 (2018) de Yim Soon-rye 임순례, adapté du manga japonais éponyme (リトル・フォレスト) de Daisuke Igarashi, où une jeune citadine retrouve son village natal et s’adapte à la vie rurale en suivant le rythme des saisons.

Moi qui aime tout particulièrement les sageuk, j’ai vraiment hâte de m’y plonger. La période de l’occupation japonaise 일제강점기 (1905-1945) est une page sombre de l’histoire coréenne, dont l’évocation reste délicate pour les œuvres télévisuelles. Contrairement à l’ère Joseon qui donne une immense liberté de ton aux scénaristes (humour, fantastique, romance, horreur etc.), cette période douloureuse reste associée à l’oppression d’un peuple qui n’a ni oublié ni pardonné les horreurs du passé.

Le cas des ‘femmes de réconfort’ (慰安婦 ianfu/일본군 위안부), ces victimes forcées à devenir des esclaves sexuelles aux mains de l’armée japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale, est particulièrement sensible et les relations diplomatiques entre les deux pays restent tendues sur le sujet. En 2016 est sorti un film poignant Spirits’ Homecoming 귀향 qui rend hommage à la souffrance de ces jeunes filles sacrifiées.

Je vous conseille aussi le drama The Bridal Mask 각시탈 (2012) adapté du manhwa de Heo Young Man 허영만, où l’acteur Joo Won 주원 interprète un justicier masqué, héro de la résistance, dissimulé sous les traits d’un collaborateur à la solde des japonais. Il offre un bon divertissement, mêlant intrigue romanesque, suspens, drame et action avec talent.

Et vous? Participez-vous à un challenge littéraire cet automne? Connaissez-vous la Corée? Si vous aviez un roman coréen à proposer, lequel choisiriez-vous?

Cinéma et séries coréennes pour l’Automne

La Corée du Sud est un pays que j’associe toujours à l’automne gaeul 가을. Peut-être à cause de ses forêts d’érables, de pins et de ginkgos qui offrent des paysages de feu, ses champs d’eulalie ou herbe argentée eogsae 억새 bruissant sous le soleil, ses coffee shop cozy à l’esthétique épurée qui foisonnent à Séoul, la beauté atypique de son architecture entre hanok traditionnels et constructions de briques un peu anarchiques. L’ambiance idéale pour les amoureux de la saison brune, qui est d’ailleurs considérée comme la plus agréable par les coréens (grands amateurs de randonnée) qui possèdent même un terme spécifique : le danpung-gil 단풍길, ‘chemin d’automne’.

C’est aussi la saison de Chuseok 추석, la très importante fête des moissons, qui a lieu le quinzième jour du huitième mois lunaire. L’occasion pour les familles de se rassembler afin de rendre hommage aux ancêtres et de célébrer les dons que la nature leur offre. La Corée est une nation d’agriculteurs, les gens sont profondément attachés à la terre, très généreuse durant la saison automnale. Il existe un proverbe qui personnifie cette abondance :  »Cheongomabi » 천고마비,  »Le ciel est haut et les chevaux sont gras », issu du chinois 天高馬肥 tiān gāo mǎ féi. Pour ce peuple qui a tant souffert de la faim et des privations, le culte du sol est primordial. Ainsi, la mélancolie coréenne issue du Han 한, ce sentiment de regret insondable qui étreint leur âme, résonne aussi avec la douceur nostalgique de l’automne.

J’avais envie de vous proposer une petite liste de films et de séries issus du pays du ‘Matin frais’ 朝鮮. Bien sûr, tous ne prennent pas place en automne mais ils ont un je-ne-sais-quoi qui me fait toujours penser à cette saison. Au programme des œuvres adeptes du mélange des genres comme savent si bien le faire les cinéastes coréens et des séries que j’aime regarder avec une boisson chaude à la main…

Films

The Sound of a Flower (Dorihwaga 도리화가) de Lee Jong Pil, sorti en 2015, nous conte l’histoire vraie de Jin Chae Seon, la première chanteuse de pansori de l’ère Joseon (1392-1897). Passionnée par le chant, elle se déguise en homme au péril de sa vie, bravant l’interdit qui pèse sur les femmes, et accède à la fonction de chanteur à la cour royale. Le Pansori 판소리, trésor national immatériel, est l’opéra traditionnel coréen qui se compose d’un chanteur et d’un joueur de tambour buk. La performance, pouvant durer plusieurs heures, se compose d’un récital de madang, des histoires contées. Le film jouit d’une photographie magnifique, et bien que l’on puisse regretter la prestation vocale de l’actrice principale, loin des performances exigées en pansori, il reste un bon moyen de découvrir cet art si méconnu. Pour les amateurs du genre, La Chanteuse de pansori (Seopyeonje 서편제) de 1993 réalisé par le grand Im Kwon Taek, ainsi que sa suite non-officielle de 2000, Le Chant de la fidèle Chunhyang (Chunhyangga 춘향가), sont des classiques.

A Werewolf Boy (Neukdae Sonyeon 늑대소년) de Jo Sung Hee sorti en 2012. Une jolie romance surnaturelle entre une jeune fille asthmatique – jouée par l’adorable Park Bo Yong – et un mystérieux garçon-loup – interprété par le populaire Song Joong Ki. Grand succès au box office coréen, cette réécriture de la Belle et la Bête évite les clichés mièvres du genre et dépeint la relation toute simple entre deux adolescents aussi timides et fragiles l’un que l’autre, ainsi que la difficile lutte contre les préjugés et la méchanceté humaine.

Rabbit and Lizard (Tokkiwa Rijeodeu 토끼와 리저드) est un road movie de Ju Ji Hong datant de 2009. May, une jeune coréenne adoptée qui recherche ses origines fait la rencontre d’un chauffeur de taxi malade du cœur. Tout deux en poursuite de quelque chose, ils partagent leurs épopées. C’est un petit film sans prétention, au rythme lent et mélancolique qui ne plaira pas à tout le monde. Les coréens sont les spécialistes du mélodrame, incarnation du han. On ne compte plus le nombre de romances tragiques tire-larmes qui mettent en scène des amours impossibles à coup de maladies incurables, d’accidents, de séparations ou autre… Le champion toutes catégories est bien sûr Winter Sonata (Gyeoul yeonga 겨울연가) de 2002, the drama coréen devenu phénomène culturel en Asie. Son succès, notamment au Japon, a propulsé le tourisme dans les régions où se déroulait le tournage; et la popularité de son acteur principal, Bae Yong-jun, déchaîna des foules de fans lors de sa visite sur le sol nippon.

Memories of Murder (Sarinui Chueok 살인의 추억) est un thriller policier grotesque datant de 2003, réalisé par le génial Bong Joon Oh (The Host, Parasite, Okja). Inspiré d’une sordide affaire criminelle : celle du tueur en série de Hwaseong qui a bouleversé le pays entre 1986 et 1991. Une dizaine de femmes retrouvées violées et assassinées dans la province rurale du Gyunngi-do. Malgré des efforts colossaux mis en oeuvre et des milliers de suspects interrogés, l’affaire restera irrésolue. Il faudra attendre 2019 pour que les avancées techniques de la police scientifique permettent enfin de confondre le meurtrier. Bong Joon Oh n’hésite pas à retranscrire la brutalité et l’incapacité de la police locale au cours d’une enquête qui tourne parfois à la farce.

A Tale of Two Sisters (Janghwa, Hongryeon 장화, 홍련) est un superbe conte horrifique de Kim Ji Woon datant du 2003. Deux sœurs reviennent dans la maison familiale après un séjour à l’hôpital. Mais le foyer se montre hostile et suinte l’angoisse, entre les phénomènes inexpliqués qui se multiplient, et la présence de leur inquiétante marâtre, magnifiée par la prestation glaçante de Yeom Jung Ah. Le réalisateur joue avec le spectateur dans un film en miroir peuplé d’illusions et de pièges. Son oeuvre est inspirée d’un conte traditionnel de l’ère Joseon : L’Histoire de Fleur rose et Lotus Rouge (Janghwa Hongryeon jeon 장화홍련전) où deux sœurs luttent contre leur méchante belle-mère et ses machinations diaboliques. Tuées par celle-ci, les jeunes filles devenues fantômes exigent la justice auprès du maire du village. Vengées, elles se réincarnent en sœurs jumelles dans le nouveau foyer de leur père.

Hansel & Gretel (Henjelgwa Geuretel 헨젤과 그레텔) de Im Pil Sung, est un hybride entre thriller et fable sorti en 2007. Un jeune homme se perd dans une forêt et trouve refuge dans une charmante maison où vit une famille en apparence heureuse. Mais à mesure que le temps passe, les murs révèlent leurs sombres secrets. Le foyer se transforme en un piège labyrinthique dont les trois enfants possèdent les clés. Histoire cruelle sur la solitude de l’enfance face à la violence des adultes, ce film revisite le conte de Grimm avec brio en employant intelligemment le motif de la maison hantée.

Dramas

Je commence fort avec Kingdom (킹덤), un sageuk (drama historique) diffusé sur Netflix en 2019. Ère Joseon à l’aube de l’hiver, une épidémie mystérieuse se propage dans un village isolé après la contamination étrange d’un homme revenu du palais royal. Le prince héritier Lee Chang, soupçonne la mort de son père malade, mais celle-ci est gardée secrète par le clan de sa belle-mère. Afin d’en comprendre la cause, il se rend chez le médecin royal mais découvre sur place une terrible vérité. Cette série ambitieuse peuplées de zombies possède une intrigue prenante, de bon acteurs, un visuel éblouissant et un suspens maintenu avec talent. J’ai dévoré les deux premières saisons sans me lasser et attend la troisième avec impatience.

Life on Mars (라이프 온 마스) est le remake de la série américaine éponyme, diffusé en 2018 par la chaîne OCN, connue pour ses dramas policiers. Han Tae Ju, enquêteur criminel, traque un serial killer qui sévit à Séoul. Violemment blessé à la tête, il se retrouve projeté en 1988 en tant que détective dans le commissariat de la ville de son enfance. Espérant se réveiller de cette illusion, il tente alors de résoudre les affaires qui se présentent à lui, d’autant qu’un cas de tueur en série fait étrangement écho à celle de son présent-passé… Je ne connais pas la version US mais j’ai beaucoup apprécié cette série et son ambiance rétro, avec sa palette de personnages attachants et drôles.

Reply 1988 (Eungdabhara 응답하라 1988) est le prequel des Reply 1994 et Reply 1997 qui forment une saga des familles magistrale. La série retrace le quotidien d’un groupe de cinq amis et de leur familles qui vivent dans la même rue du quartier populaire Sangmundong de Séoul. L’histoire prend place – à nouveau – en 1988, année des Jeux Olympiques et de la revanche coréenne sur les décennies de privations liées à la guerre. C’est la fin d’une époque, celle des petites gens, de leur habitudes simples et conviviales, de cette Corée encore humaine avant son expansion économique fulgurante. Cette série est jubilatoire, ça crie de partout, on se chamaille, on se soutient, on partage tout. Les gags fusent – le fameux cri de la chèvre restera dans les mémoires – menés tambour battant par le couple parental phare de la franchise, formé par Lee Il Hwa et Sung Dong Il.

Goblin (Sseulsseulhago Chanlanhasin – Dokkaebi 쓸쓸하고 찬란하神 – 도깨비) fut un succès à sa sortie en 2016. Ce drama fantastique met en scène Kim Shin, un général militaire de l’ère Goryeo qui accède à l’immortalité après sa fin tragique. Mais après des siècles de solitude, il ne désire qu’une chose : la mort. Pour cela, il doit chercher sa fiancée parmi les humains, seul être capable de retirer l’épée qui l’empêche de mourir. Pour les amoureux de folklore coréen, cette série est une perle car elle fait référence à un grand nombre de mythes et de créatures surnaturelles : Grand-Mère Samshin, faucheurs psychopompes, gobelins, réincarnations, destin et vies antérieures… Le tout accompagné d’une belle photographie, d’une bonne dose d’humour et de personnages sympathiques.

Et pour finir, Cheese in the trap (치즈인더트랩) diffusé en 2016, est adapté du weebtoon de Soonkki publié sur la plateforme Naver en 2010. On y suit Hong Sol, jeune étudiante studieuse et fauchée, dans son quotidien éreintant à l’université. Tout se complique un peu plus quand le mystérieux et populaire sunbae (aîné) Yoon Jung, tente de sympathiser avec elle. A l’époque où je lisais le weebtoon, j’étais moi-même étudiante et j’ai adoré regarder la série dans ma chambre de 9m2. Par contre, je ne conseille pas le film, réalisé plus tard, qui n’est qu’une pâle copie du drama.

Voilà, petite liste non exhaustive de mon cinéma d’automne coréen qui pourra peut-être vous inspirer pour vos futurs visionnages. Il y en a certainement d’autres, comme les bien nommés Autumn Tale, Late Autumn, Autumn autumn, … tous des mélodrames. Et vous, quels sont vos films de la saison?