Koji Suzuki – Ring

La vengeance du spectre cybernétique

Koji Suzuki 鈴木 光司 est un écrivain japonais né en 1957, à Hamamatsu (préfecture de Shizuoka). Diplômé de littérature française à l’Université Keio de Tokyo, il publie son premier roman Paradise (Rakuen) en 1990. Son second roman sera un succès : Ring (Ringu リング) paru en 1991 obtient le Japan Fantasy Novel Award. Son adaptation au cinéma en 1998 par Hideo Takata l’érige au rang de best-seller, le livre se vendant à plus de trois million d’exemplaires. Étoffant son univers, Suzuki rédige plusieurs suites : Double hélice (Rasen / Spiral らせん) en 1995, prix Yoshikawa Eiji pour les jeunes écrivains ; puis la Boucle (Rupu / Loop ループ) en 1998. Le ‘Stephen King japonais’ complète sa trilogie horrifique avec le recueil de nouvelles Birthday (Bāsudei バースデイ) en 1999, suivit d’un prologue avec Ring Zero リング0.

Couvertures des éditions japonaises, coréennes, anglaises et américaines

UNE ÉTRANGE CASSETTE

Tout commence par une affaire irrésolue : les morts suspectes, par arrêt brutal du cœur, de quatre jeunes le même jour et la même heure mais dans des lieux différents. Ce mystère intrigue le journaliste Kazuyuki Asakawa, dont la nièce est l’une des victimes. Piqué par la curiosité, il mène l’enquête et remonte la piste jusqu’au chalet du centre de loisirs de Minami Hakone, d’où pourrait provenir ce « virus qui affecte le cœur. » Dans le livre d’or, carnet de souvenirs mis à la disposition des voyageurs, il tombe sur un message écrit par les derniers locataires : « Jeudi 30 août. Attention ! ceux qui n’ont aucun courage ne doivent pas regarder ça. Sinon, ils le regretteront. Ah, ah, ah! » Asakawa fait le lien avec le local rempli de cassettes vidéo VHS que louent les visiteurs par temps de pluie. Il fait l’inventaire des films d’horreur et tombe par hasard sur une « cassette vidéo posée là, sans boîte de protection », sans titre. Il la glisse dans le magnétoscope et tout bascule.

« Une suite d’images floues accompagnées de bruits parasites », des inscriptions à « l’énergie de bête sauvage » et des scènes énigmatiques s’enchaînent sous ses yeux. « À force de regarder ces images, Asakawa a l’impression d’étouffer. Il entend son cœur battre et sent la pression du sang dans ses artères. » La vidéo imprègne son corps : « tous ces sens semblent alternativement concernés, manipulés par une présence étrange, sans que la chose ait un rapport évident avec les images et les sons. » Un message de mise en garde apparaît : « Ceux qui regardent ces images sont condamnés à mourir dans une semaine exactement à la même heure. Si vous ne voulez pas mourir, à partir de maintenant suivez mes instructions. À savoir…« , puis la vidéo se termine. Asakawa perplexe, s’interroge sur la suite du message, lorsque le téléphone sonne.

« La pression de l’air devient plus forte dans ses poumons. Des insectes venus des entrailles de la terre grimpent sur ses chevilles, le chatouillent horriblement et remontent dans son dos en zigzagant. Quelque chose d’indescriptible, une sorte de haine arrivée à maturation avec le temps, arrive jusqu’à lui à travers le récepteur téléphonique. »

Le compte à rebours a commencé. Asakawa fait appel à un ami universitaire Ryuji Takayama, professeur de philosophie à l’humour cynique, pour résoudre l’affaire et sauver sa vie. Car il n’a plus aucun doute, il est menacé. Les deux enquêteurs amateurs analysent méthodiquement la vidéo et réalisent qu’il ont à faire à la volonté d’une personne disparue : « tous ces événements sont pleins d’images porteuses d’un mal universel dont on peut sentir les effluves sans savoir d’où elles viennent. »

Bien que catalogué comme roman d’épouvante, le genre littéraire de Ring reste flou. Le récit ne fait pas appel à l’horreur pure. Au contraire, Suzuki tend à rationaliser le phénomène fantastique de la malédiction (noroi 呪い). Ces deux protagonistes raisonnent comme des scientifiques en décortiquant la vidéo et effectuent un véritable travail d’investigation dans le but d’en comprendre le fonctionnement et l’origine. Dans sa suite rédigée plus tard, Spiral 1997, le genre du roman bascule tout à fait, « l’objectivisme de la narration » le transformant en récit de science-fiction (G.Joubert).

« Il n’a encore jamais éprouvé une peur aussi viscérale. En plus, elle est toujours présente. Et il en a encore pour six jours. Cette peur qui le fait mourir à petit feu l’étrangle lentement comme un anneau de corde autour de son cou. Il ne peut s’attendre qu’à une seule chose : la mort.. »

Reiko Asakawa, l’héroïne du film, visionne la cassette maudite, Ringu de Hideo Nakata (1998)

RING ET SA PORTÉE SYMBOLIQUE

La vidéo maudite diffuse des souvenirs clés liés à un passé obscur. L’énigme résolue, les protagonistes du roman découvrent l’existence mystérieuse d’une lignée de femmes extralucides. Celle de la médium Shizuko Yamamura devenue le sujet d’expérimentation du professeur Heihachiro Ino qui en fit son thème de recherche. Le couple devint populaires dans les journaux avant que les critiques ne fusent et ne leur jette le discrédit. La mystérieuse Sadako Yamamura, issue de leur liaison extraconjugale, est le personnage au cœur de l’intrigue.

La symbolique des lieux choisit par Suzuki n’est pas anodine. L’action du roman prend place dans la préfecture de Shizuoka 静岡県, aux alentours du Mont Fuji 富士山. C’est une région montagneuse connue pour ses manifestations surnaturelles (on y trouve la forêt des suicides d’Aokigahara 青木ヶ原). Shizuko Yamamura est originaire de l’île d’Ōshima (Izu Ōshima 伊豆 大 島), située près de la péninsule d’Izu (Izu-hantō 伊豆半島), au sud-est du Japon. Le mont Mihara (Mihara-yama 三原 山) est un volcan actif qui culmine sur l’île. À partir des années 1920, il a sinistrement été choisi comme lieu idéal pour les suicides des malheureux qui, à l’instar de la mère de Sadako, se jetaient dans le cratère.

Fervente adoratrice d’une divinité locale éradiquée par les autorités gouvernementales, Shizuko plonge en mer, une nuit de pleine lune, pour repêcher une statue de pierre à l’effigie du moine divin. Il s’agit de En no Ozunu 役小角 dit aussi En no Gyōja 役行者 (634 -700–707), personnage historique associé aux sciences occultes. Cet ascète mystique fut banni par la cour impériale sur l’île d’Ōshima le 26 juin 699. Perçu comme un saint homme, il reçu le titre posthume de Jinben Daibosatsu (Grand Bodhisattva Jinben 神 変 大 菩薩) lors d’une cérémonie tenue en 1799 pour commémorer la millième année de son décès. Les ermites ascétiques Yamabushi 山伏 avaient la réputation de posséder de nombreux pouvoirs surnaturels et étaient craints et respectés comme des divinités.

Liée à l’océan, Shizuko Yamamura prend les traits d’une femme de la mer kaito ou ama 海女, des pêcheuses qui plongent en apnée à la recherche d’ormeaux et autres créatures marines. Êtres évoluant dans un monde liminaire, elles ont un statut de non-humains et d’anonymes, et suscitent effroi et curiosité. Shizuko possède aussi des dons mystiques qui évoque les femmes-chamanes hotoke, et les itako イタコ, ces médiums souvent malvoyantes qui communiquent avec les divinités (Y.Omori ; Takasuna). Au Japon, les irui igyô  »êtres anormaux » sont mis à l’écart de la société. On retrouve parmi eux les esclaves ou senmin, la caste des hommes souillés, ainsi que tout les marginaux : fossoyeurs, tanneurs, chasseurs, pêcheurs, saltimbanques, prostituées. Les métiers liés à la souillure sont rejetés, tout comme les professions associées au sacré : exorcistes, femmes-chamanes (J-F.Sabouret).

DEAD WET GIRL

« Que va devenir ton corps, après ? Si tu passes tout ton temps à jouer dans l’eau, les fantômes t’emporteront. Tu as compris ? Fais attention aux étrangers. L’année prochaine, tu donneras naissance à un enfant. Écoute ta grand-mère, car ton enfant sera une fille. Ne tiens pas compte des gens du coin. »

Sadako Yamamura (山村 貞子 ‘chaste enfant’), cache un lourd secret. Elle souffre du syndrome de féminisation testiculaire, elle possède les organes génitaux masculins et féminins. Être hybride, elle est décrite comme une femme inquiétante et solitaire mais dotée d’une extraordinaire beauté. Au Japon, pays de l’impermanence des choses et des métamorphoses, les genres mâle et femelle ne sont pas des notions biologiques mais sociales. L’identité sexuelle est aisément ambiguë, notamment chez les êtres de beauté supérieure kagari nashi. C’est la beauté propre aux enfants, aux empereurs et aux dieux, qui n’est ni mâle ni femelle car elle transcende la division du monde (Royall Tyler).

La pauvre Sadako est une personne ‘hors-normes’ de par son héritage maternel et son don, sa naissance hors mariage, sa beauté exceptionnelle, et ses attributs sexuels atypiques. Elle ne semble pas vraiment humaine, y compris pour son créateur Suzuki qui sème le doute sur sa véritable nature. Dans le film, pas d’équivoques : Sadako est la fille d’un esprit aquatique. Le motif de l’eau est inhérent au personnage de Sadako. C’est sur un plan marin que débute et finit le film de Nakata, c’est de la mer que semble venir le pouvoir de cette étrange jeune fille, dans l’eau d’un puits obscur que son corps se décompose. L’idéogramme mizu 水 signifie ‘eau’ mais aussi ‘incertain’, ‘illusoire’, ‘inhabituel’. Si l’eau pure est employée pour se purifier de la souillure, l’humidité est une métaphore de la maladie et de la pourriture. Dans Ring, « l’eau est une image régressive symbolisant le suicide et le liquide amniotique, liée à la mémoire de l’existence japonaise pré-moderne » (Matsui : 2002).

Lorsque l’on parle de spectre vengeur, un facteur commun apparaît : le thème de l’eau et le genre féminin. Les films de J-Horror foisonnent de « mortes humides », des cadavres poisseux aux cheveux ruisselants qui font suinter la peur de leur rancœur glissante (Grady Hendrix). Dans l’imaginaire japonais, la mer est associé à la mort car « c’est de la mer que les morts viendraient visiter les vivants » (J.Pigeot).

« Pour qu’un mort arrive encore à exprimer dans notre monde le fort ressentiment qu’il éprouve vis-à-vis de quelqu’un, trois conditions sont nécessaires. Un espace clos, de l’eau et le temps qui s’est écoulé jusqu’à sa mort. Ces trois choses-là. C’est-à-dire que lorsqu’un mort passe beaucoup de temps dans un espace clos rempli d’eau, il reste possédé par le démon du ressentiment. »

Les conditions de la mort de Sadako sont particulières : venue rendre visite à son père mourant de la tuberculose dans un sanatorium isolé (plus tard remplacé par le centre de loisirs), elle rencontre celui qui fut le dernier cas de variole au Japon, le docteur Shirotaro Nagao. Cet homme pris d’une sombre impulsion et d’un « sentiment de luxure » incontrôlable, la viole puis l’étrangle avant de jeter son corps inanimé dans un puits. C’est cachée dans les profondeurs que sa malédiction mûrit puis germe sous la forme d’une vidéo empoisonnée.

La vierge Sadako, après son viol, aurait elle engendré quelque chose, bien que biologiquement son corps eut été incapable d’enfanter ? Si l’on en croit Suzuki, oui. Sadako, « en tant qu’esprit de vengeance, revendique son propre droit de survivre et de se reproduire en devenant à la fois mère et père d’une nouvelle race d’individus infectés. » (McRoy).

« Elle voulait donner naissance à un enfant, mais son corps ne lui permettait pas de le faire. Alors, elle a passé un pacte avec les démons…, qui lui permettrait d’avoir une nombreuse progéniture. »

L’eau, l’élément liquide qui relie les vivants au monde des morts. D’une mer pleine de fantôme au corps pourrissant dans un puit, Ringu de Hideo Nakata (1998)

PARAPSYCHOLOGIE JAPONAISE

Le roman de Koji Suzuki est une histoire fictive mais qui s’inspire de certains faits authentiques. Outre l’allusion au personnage historique En no Ozunu, Ring fait directement référence à l’histoire japonaise de la recherche en parapsychologie du XIXe siècle.

Avec le début de l’ère Meiji 明治時代 (1868-1912), le Japon ouvre ses frontières vers l’extérieur et entre dans une période de modernisation rapide. L’influence occidentale se diffuse dans les modes de vie et importe vers 1880 la mode du spiritualisme américain (shinreigaku 新霊学). Le jeu Kokkuri-san こっくりさん / 狐狗狸, similaire au Ouija, fait son apparition en 1890. L’hypnose se démocratise et le mesmérisme (magnétisme animal) entre dans le dictionnaire anglo-japonais en 1873 sous le nom dobutsu jishaku ryoku 動物磁気力. Au cours des années 1900, les publications de recherches psychiques se multiplient, menées par des chercheurs formés aux sciences occidentales.

Parmi eux, Tomokichi Fukurai 福来友吉, enseignant à l’Université Impériale de Tokyo, passionné d’hypnose et de psychologie anormale. Fukurai est persuadé que la clairvoyance existe et qu’elle peut se manifester grâce à la photographie astrale ou thermographie projetée (thoughtography). Pour prouver ses théories, il mène des expérimentations sur des personnes soupçonnées de posséder des habilités psychiques.

Son premier sujet se nomme Chizuko Mifune 御船 千鶴子 (1886 – 1911). Convaincu de son don, Fukurai lui fait subir plusieurs tests face à des assemblées de chercheurs septiques. Le but : deviner les caractères chinois sellés dans une enveloppe. Malgré un taux de réussite de 65%, les critiques fusent et Chizuko, très fragilisée, se suicide par empoisonnement le 18 janvier 1911. Ce premier échec n’altère en rien la détermination du chercheur qui poursuit son étude avec une autre psychique : Ikuko Nagao (1871-1911). Cette femme avait la capacité de pratiquer la projection mentale sur des plaques photographiques, mais là aussi les accusations de fraudes pleuvent, et Ikuko meurt de pneumonie en 1911.

S’en suivent d’autres tentatives avec Sadako Takahashi aux capacités similaires à celles d’un médium (qui donne son prénom à l’héroïne du roman). Fukurai élabore sa théorie : 1 « une idée est une demande », elle exige la réalisation de soi sur une substance, 2 « une idée est une force », 3 « une idée est ku-sei« , le vide tel qu’il est conçu par le Bouddhisme. Il emploie alors le terme de nengraphie (nensha 念写), remplaçant le mot pensée (thought) par le concept intraduisible de kan-nen ou nen. Selon lui, « le nen ne peut pas être perçu par nos organes sensoriels, mais il est possible d’agir sur la matière de manière transcendante, c’est-à-dire éventuellement au-delà des lois physiques actuelles » (Fukurai : 1986).

Malheureusement, malgré toute sa volonté scientifique, ses recherches n’aboutissent pas, souffrant d’une méthodologie peu rigoureuse et d’une mauvaise presse. Fukurai participe néanmoins au processus de modernisation de la psychologie au Japon qui abandonne les études en psychologie anormale vers 1910 pour se tourner, durant l’ère Taishō (1912-1926), vers la psychanalyse et la psychiatrie.

« Si cet enregistrement provient des organes sensitifs d’une personne, l’essence même de la malédiction est liée à la volonté de cette personne. »

M. Tomokichi Fukurai, Maître de conférences, Université de Shinsou ; une prétendue « photographie de pensée » obtenue par Fukurai ; Chizuko Mifune début XXe

LE ROMAN DE LA PEUR SOCIÉTALE

Au cours des années 1980, les médias japonais sont témoins d’une étrange tendance : des vagues de photographies prisent par des amateurs, où se glissent des silhouettes spectrales, envahissent les journaux. Les clichés ordinaires deviennent le support d’apparitions surnaturelles inconnues qui ébranlent le monde moderne rationnel. La publication de The Ring en 1991, puis son adaptation au cinéma par Hideo Nakata en 1998, coïncide avec la fin du nouveau millénaire. Le Japon subit alors l’éclatement brutal de la bulle économique. Ajouté à cette angoisse, les japonais sont victimes des attentats au gaz sarin dans le métro de Tokyo (Chikatetsu sarin jiken 地下鉄サリン事件) de la secte Aum (Aum Shinrikyō オウム 真理教) perpétrées le 20 mars 1995. Il s’agit du plus grave acte terroriste commis au Japon depuis la Seconde Guerre Mondiale. Cette société en perte de repères voit aussi se développer les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication NTIC (E.Trouillard).

L’intrigue de Ring ressemble à ces légendes urbaines qui ce chuchotent d’une oreille à l’autre. La rumeur d’une bande vidéo maudite qui porte malheur à quiconque la regarde. Se diffusant via les réseaux modernes de communications, la légende urbaine (toshi densetsu 都市伝説) s’enrichit, s’étoffe et gagne en véracité et en puissance à mesure qu’elle se diffuse. Le réseau d’information permet de connaître son existence mais aussi de s’en prémunir car l’apprentissage collectif propose des rituels à pratiquer pour se protéger et échapper à la sanction maudite (E.Trouillard). Internet foisonnent de récits étranges, de forums et de chaînes Youtube qui racontent l’histoire d’Hanako, la fillette des toilettes (Toire no Hanako-san トイレの花子さん), de la Femme à la bouche fendue (Kuchisake-Onna 口裂け女), ou de Teke-Teke テケテケ, la morte coupée en deux.

Puisant dans nos peurs inconscientes et notre fascination pour le mystère, les revenants investissent le quotidien urbain et infusent la peur dans nos foyers modernes. Suzuki s’imprègne de ce contexte superstitieux dans un Japon au folklore riche en créatures qui se prête aisément à des histoires fantasmagoriques (Foster & Tolbert : 2016). La capacité de Sadako d’insuffler une malédiction à travers une simple V.H.S n’est pas anodine. Dans le Japon animiste, il est possible que les objets vieux de 100 ans acquièrent une âme et deviennent des Tsukumogami 付喪神 / つくも神 . Quand aux esprits, ils sont capables de hanter les objets dont les appareils audiovisuels : on parle de shinrei shashin 心霊写真 « photo-esprit » ou shinrei douga 心霊動画 « vidéo-esprit ».

« Le visage de la jeune fille, à la fois beau et effrayant, s’échappe de la photo et elle penche son cou comme pour l’ensorceler. Sadako Yamamura est ici avec lui. »

Lorsque les quatre jeunes sont retrouvés morts, nous sommes le 5 septembre. Cela fait une semaine que la cassette maudite a été visionnée. La première infection se situe donc fin août, période de l’année particulière au Japon. En effet, c’est la fin de l’été, saison associée à la mort et aux fantômes. Le 15ème jour du 7ème mois lunaire a lieu une grande fête nationale, l’Obon お盆, le festival bouddhique des morts. Les portes de l’enfer s’ouvrent pour permettre aux défunts de revenir sur terre pendant une semaine. C’est l’occasion pour les familles de rendre hommage aux disparus en se rendant sur les tombes avec des offrandes. Le dernier soir, le vivants glissent sur l’eau des fleuves ou de la mer des petits bateaux ornés de bougies afin de guider les esprits dans l’au-delà (J.Pazo).

L’été est une période morbide où le climat chaud et humide entraîne typhons et épidémies, fléaux longtemps attribués aux entités néfastes. Pour lutter contre la moiteur étouffante, les japonais se racontent des histoires d’horreur afin de frissonner et se donner l’illusion de fraîcheur. Il existe un jeu oral, le Hyaku monogatari kaidan kai (百物語怪談会 ‘Rassemblement de cent histoires fantastiques’) au cours duquel des contes effrayants sont narrés à tour de rôle autour d’une ‘veillées aux cent bougies’. À chaque histoire racontée, une bougie est soufflée, plongeant la pièce dans une obscurité progressive jusqu’à l’apparition d’une entité surnaturelle.

Kawanabe Kyōsai 河鍋 暁斎 (1831-1889), Parade nocturne des cent démons Hyakki Yagyō 百鬼夜行, seconde moitié du XIXe

PETITE HISTOIRE DU REVENANT JAPONAIS

La légende de Sadako s’inscrit dans un folklore populaire composé d’esprits et de yokai, transmis oralement par les gens du peuple, à l’opposé de l’élite qui se concentrait alors sur les récits mythiques des divinités shinto et rédigea deux textes fondateurs : le Kojiki et le Nihongi (E.Newberry). De fait, il y aurait au Japon, plus de morts que de vivants (L.Caillet). Selon la religion shinto, à la mort, l’esprit ou l’âme reikon 霊魂 va de Konoyo この世 (le monde visible) à Anoyo あの世 (le monde invisible) ; pour les bouddhiste, ce voyage spectral s’effectue en 49 jours. Certains esprits sont bienveillants (nigitama) et d’autres malveillants (aratama) (S.Kanayama). Il est donc nécessaire de nettoyer l’âme des morts des émotions qui les agitent (colère, haine, jalousie) via des prières et des rituels pendant sept ans au risque de les voir revenir (J.Pigeot).

Les japonais vivent entourés de défunts auxquels ils rendent hommage tout au long de leur vie, et notamment à travers le culte des ancêtres (Davisson). En effet, la pérennité du pays est incarnée par la lignée ininterrompue issue directement des divinités primordiales (l’empereur du Japon est un descendant de la déesse du Soleil Amaterasu). De cette conception découle une organisation sociale ayant pour modèle ce groupe de filiation unilinéaire où la rupture du temps n’existe pas : les ancêtres défunts et leurs descendants forment une chaîne continue (L.Caillet).

Ainsi, rien n’est plus terrible qu’une malemort, une mort prématurée, souvent violente, « intervenant avant que le temps de vie imparti à l’origine par le destin soit épuisé. C’est ce temps, ce ‘reste’ de vie inemployé, en suspens, comme actif, qui fabrique la malemort. Dit autrement, c’est le karma qui n’est pas épuisé. C’est dans cet inachèvement qu’elle prend sa source » (B.Baptandier). Une personne souffrant de mauvaise mort se trouve « hors généalogie », incapable de devenir un ancêtre, elle devient une force stérile qui brise la filiation (B.Baptandier). Son lien avec les vivants étant brisé, le mort est incapable de participer à la reproduction du groupe social (L.Caillet).

De plus, lorsque la vengeance d’outre-tombe s’exerce, elle produit à son tour une malemort car la victime meurt dans des circonstances similaires. Un cycle sans fin de mauvais karma se perpétue, pouvant même se transmettre chez les descendants comme un gène maudit. Il est donc crucial d’apaiser la colère du défunt au cours de cérémonies religieuses, de prières et d’offrandes. Mais si la rancœur persiste et résiste à tout exorcismes, la dernière solution est encore de diviniser l’esprit courroucé.

« Il faut nous libérer de ce maléfice en retirant le corps du fond de ce puits étroit, puis célébrer un office religieux, avant de le ramener dans son pays natal pour l’enterrer. Ce qui permettra à son âme d’évoluer dans les vastes espaces d’un monde lumineux. »

YUREI ET FANTÔME FÉMININ

Au XV siècle, Zeami 世阿弥 (1363 ? – 1443 ?), théoricien du no, définit le revenant Yūrei 幽霊 (des kanji 幽 ‘pâle’, ‘vague’ et 霊 rei ‘âme’, ‘esprit’) comme l’âme d’un mort habitant du séjour obscur Yumei kai, ayant la faculté de ses montrer aux vivants. Le yūrei est synonyme de shiryō 死霊 (âme pouvant causer une malédiction aux vivants). À l’origine, le revenant inspire plus la pitié que la terreur. Dans le théâtre nô, les pièces de mugen nô 夢幻能 ‘nô de rêves et d’illusion’ mettent en scène des complaintes mélancoliques au cours desquelles le yūrei s’unit au public dans une communion nostalgique et émotionnelle.

En 1750, Maruyama Ôkyo (1733-1795), un jeune peintre endeuillé par la perte de son amante, peint la première illustration de yūrei : Vision d’Oyuki (Oyuki no Maboroshi お雪の幻). L’image d’une énigmatique beauté (bijin-ga 美人 画 ‘peinture de belle femme’) dont la silhouette diaphane s’évapore sous nos yeux. Cette estampe est si évocatrice et réaliste qu’elle deviendra l’archétype du yūrei dans l’archipel. Attisant l’effroi et la fascination, la peinture de spectres yûrei-ga 幽霊画 donne une apparence définitive au fantôme féminin.

Le défunt, en premier lieu, est lavé puis vêtu d’un kimono funéraire immaculé inscrit avec des sutras bouddhistes, le kyokatabira 許可旅ら, parfois un simple katabira 帷子. Le blanc est la couleur des célébrations (mariage, diplôme, fonctions gouvernementales), c’est un symbole de pureté porté par trois classes de gens : les prêtres shinto, les mariées et les défunts. Parce que le monde des morts est inversé au monde des vivants, les défunts placent le pan droit du kimono par dessus le pan gauche. Sur leur tête est parfois placée un ornement en tissu de forme triangulaire, le hitaieboshi 額烏帽子 ‘chapeau de front’ (Z.Davisson).

Les spectres glissent silencieusement entre les ombres, les mains pendantes et la tête basse, parfois accompagnés des hitodama 人魂, ‘âmes humaines’ séparées de leur corps sous la forme de flammes flottantes bleutée. Seule une voix d’outre-tombe se fait entendre et murmure de façon lancinante la lamentation des esprits courroucés : « urameshiya » うらめしや, la plainte de la rancœur qui exprime le « sentiment avec lequel on continu d’être obsédé par quelqu’un en dissimulant son mécontentement, tout en désirant se libérer un jour de cette obsession » (Keiko Tanaka).

« Ce monde réel qui disparaît laisse autour de lui un vide où flottent une atmosphère spirituelle qu’il n’a jamais ressentie auparavant. Sous la pression de l’humidité de l’air qui imprègne sa peau, son corps semble se transformer en ombre. »

De gauche à droite : Maruyama Ōkyo 円山 応挙, Vision d’Oyuki, 1750 ; Setsuô 伊藤, Spectre sous la pleine lune, XIXe ; Hyodo Rinsei 兵藤林静, Fantôme sous la pluie, XIXe ; Kikuchi Yōsai 菊池 容斎 (1781-1878), Fantôme assis devant une moustiquaire, XIXe ; Kawanabe Kyōsai 河鍋 暁斎 (1831-1889), Fantôme féminin emportant une tête coupée, 1871-89

LA COLÈRE DES ONRYŌ

Le yūrei souffre souvent du ressentiment urami 恨み refoulé depuis la mort. Incapable de trouver le repos, l’âme prend corps dans le monde des vivants. Les morts n’oublient pas, ils en sont incapables, car c’est le trop plein d’affect qui les relie encore au monde. Réduits à leurs émotions les plus primaires, les désirs inassouvis ou l’obsession de vengeance, ils se changent alors en onryō 怨 霊, littéralement ‘esprit vengeur’ ou ‘esprit courroucé’ (Antoni : 1988).

Parmi ces fantômes furieux, sont cités les légendaires trois grands yurei de l’ère Edo (San O Yurei 三大幽霊) : Oiwa-san, Otsuyu et Okiku. Toutes ont souffert de mort injuste et reviennent de l’au-delà hanter les vivants (Davisson). La légende d’Okiku お菊 évoque étrangement celle de la lugubre Sadako. Histoire mille fois contée sur les scènes de théâtre, La Demeure aux Assiettes en la province de Harima (Banchō Sarayashiki 番町皿屋敷) raconte le drame d’une servante qui refuse les avances de son employeur. Vexé, il la trompe et lui fait croire à la perte d’une assiette précieuse d’un ensemble de thé ancien. Incapable de trouver l’assiette, Okiku est jetée dans un puits. Depuis, son fantôme revient toutes les nuits pour compter les assiettes, émergeant du puits en se traînant comme un serpent (F.Lachaud).

Le yūrei est le précurseur des « explorations modernes de l’affect » (S. Shimazaki). Déjà présent à l’ère Edo, le fantôme féminin est un avatar de l’émergence de la subjectivité et de l’intériorité au Japon, car en faisant fi des règles sociales, le spectre vengeur met en avant l’individualisme du soi. En effet, il ne respecte pas « l’unité corporative comprenant les ancêtres, les membres de la famille et les descendants » ; il est obnubilé par une rancune ‘privée’ et personnelle, séparée des valeurs de la communauté qui défini le vivant.

« Il pressent l’existence d’une force maléfique insondable qui se réjouirait de voir les gens souffrir. »

Katsushika Hokusai 葛飾 北斎 (1760-1849), Le fantôme d’Okiku, issu de la série « Cent histoires de fantômes« , 1831 ; Utagawa Kuniyoshi 歌川 國芳 (1798-1861), L’acteur Onoe Kikugoro III jouant le fantôme d’Oiwa dans la pièce Yotsuya Kaidan, 1836

L’HÉRITAGE CULTUREL DU THÉÂTRE TRADITIONNEL

Koji Suzuki puise dans une longue tradition théâtrale d’apparitions spectrales. Le théâtre nô comporte dans son répertoire une catégorie ‘récit de femme folle’ kyojo-mono, lui-même subdivisé en shunen-mono où la femme est un fantôme vengeur. Fait intéressant, Sadako Yamamura, l’antagoniste du roman, voulait devenir actrice et faisait partie d’une petite troupe de théâtre.

En 1603, la dynastie des Tokugawa (1603-1867) accède au pouvoir et transfère la capitale de Kyoto à Edo (actuelle Tokyo). Le gouvernement shogunal militaire bafuku 江戸幕府 instaure une ère de paix et met fin à plus de quatre siècles de guerres entre clans féodaux. Cette période est propice au développement économique et culturel, et voit s’épanouir les arts et les divertissements. Le théâtre kabuki se développe ainsi auprès des classes populaires (G.Joubert).

L’été étant une période creuse pour le théâtre traditionnel, les pièces de fantômes à petits budget, les kaidan-mono怪談モノou kaidan-kyôgen 怪談狂言, remportent vite un grand succès et deviennent indissociables de la saison estivale (S.Shimazaki). Avec le kabuki, apparaît un ‘théâtre de la cruauté’, au style aragoto (dur) opposé au réalisme du style wagoto (souple), peuplé de spectres furieux cherchant à assouvir leur désir de vengeance fukushu (D.Arnaud). Les représentations rivalisent de détails macabres et sanglants, visant à assouvir la soif morbide d’un public toujours plus friand d’histoires grotesques et terrifiantes. Le fantôme prend des traits esthétiques conventionnels et archétypal monstrueux, qui sont souvent ceux de la Vierge vengeresse en blanc’ et de ses attributs présumés (jalousie shitto, haine urami, obsession shunen) typiques (C.Balmain : 2009).

Ainsi, l’apparence des défunts dans le kabuki est spectaculaire et doit immédiatement révéler la nature spectrale de l’acteur. Outre le kimono blanc, le visage est peint de façon à être vu du public depuis une scène uniquement éclairée par des lanternes. Le maquillage kumadori est adapté à chaque rôle ; le aiguma 藍 隈 pour les yūrei consiste à tracer sur un visage de craie des lèvres bleues ou noires et des yeux cernés de noir et d’indigo. Pour ajouter à cette vision d’horreur, les acteurs portent une perruque katsura faite de longs cheveux noirs. Au Japon, la chevelure des femmes possède des vertus surnaturelles ; elle est le symbole de leur beauté mais aussi de leur folie, lorsque, libérée du chignon, elle se change en une masse de mèches tentaculaires. Il existe d’ailleurs une peur des longs cheveux flottants, la chaetophobia.

En juillet 1825, le théâtre de kabuki Nakamura inaugure la performance d’une pièce devenue iconique : Tōkaidō Yotsuya Kaidan 東海 道 四 谷 怪 談 écrite par Tsuruya Nanboku IV (1755-1829). L’histoire d’Oiwa-san, une femme défigurée par son mari infidèle, qui revient d’entre les morts pour se venger. Dérivée elle-même d’un fait divers sordide, la tragédie d’Oiwa-san est devenue l’histoire de revenant la plus connue du Japon. La haine qu’elle incarne est si intense que les acteurs voulant interpréter son rôle se rendent sur sa tombe pour prier en sa mémoire, et éviter ainsi de réveiller son courroux.

Utagawa Kuniyoshi 歌川 國芳 (1798-1861), Orikoshi Masatomo (joué par Bando Hikosaburo IV) est attaqué par le fantôme d’Asakura Togo (joué par Ichikawa Kodanji IV), illustration d’une pièce de kabuki, 1851

L’IMPACT DE LA J-HORROR

L’adaptation d’Ideo Nakata, Ringu est issue d’une lignée de films de fantômes, les shinrei-mono eiga 心霊 もの 映画, dont font partie les classiques Onibaba de Kaneto Shindo de 1964 ou encore Kwaidan de Masaki Kobayashi de 1965 (McRoy). Mais au fil des années et des adaptations, le genre s’essouffle. Les schémas narratifs usités et répétitifs emprisonnent la figure du fantôme dans des comédies familiales grand public. C’est à la fin des années 90 qu’émerge une nouvelle vague de film d’horreur qui révolutionne le genre : la J-Horror. Inauguré par Ringu en 1998, la J-Horror envahit les salles de cinéma et ouvre des perspectives inédites en utilisant un mode opératoire en réseaux via la technologie.

Le succès de l’adaptation du roman a engendré une franchise aux multiples productions : Ringu et ses suites, une série télévisée, ainsi que d’autres dérivés similaires (Ju-On Shimizu 2000 ; Kairo, Kurosawa 2001 ; Dark Water, Nakata 2002), ou encore des remakes (The Ring : Virus, Kim 1999 ; The Ring, Gore Verbinski 2002). L’influence de ce genre horrifique dépasse les frontières et étend ses racines et ses codes dans le monde de la pop culture. Le virus de Sadako s’est aisément infiltré dans notre quotidien au travers du même médium que celui choisi par le fantôme pour se venger : l’écran de télévision (N.Holm).

Film créateur d’ambiance plus que de jumpscare, Ringu induit l’idée d’un mal généralisé capable de frapper la population entière. A la sortie des salles de cinéma, le public gardait encore les images terrifiantes de ce fantôme moderne. Et si c’était vrai ? L’idée que la malédiction fictive ait pris corps dans le monde réel, transcendant le medium de l’écran, s’infuse dans l’esprit des gens et diffuse, là aussi, la peur. Fruit de son époque, la saga Ringu est « une fable postmoderne à peine déguisée sur l’impact culturel des technologies de communication émergentes » (McRoy). De nouvelles figures de spectres apparaissent, les « fantômes en réseaux » qui opèrent selon deux dispositifs spatiaux : des « spectres contagieux » dont la malédiction se transmet et se diffuse sur le modèle d’une épidémie au fil des interactions propres au réseau social ; et des « revenants connectés » qui peuvent exploiter et créer des réseaux pour s’y projeter à volonté (E.Trouillard).

Ces films d’horreur contemporains exploitent une angoisse fondamentale dans nos « sociétés du risque », hantée par l’idée du « risque zéro » (Beck : 1986) : celle de l’irruption soudaine du danger mortel et imprévisible dans notre quotidien si paisible. Les fantômes sont fait d’une « matérialité problématique » car ils échappent aux règles physiques communes du fait de leur statut ontologiquement ambigu (E.Trouillard). Ils sont morts mais actifs dans le monde des vivants, et ne peuvent être vaincus facilement par des moyens ordinaires. Dans le roman, Sadako s’infiltre partout. Elle apparaît dans les miroirs et les reflets, là où son homologue filmée brise littéralement le quatrième mur en émergeant de la télévision. Le génie du romancier Suzuki fût de faire naître l’angoisse du quotidien le plus banal. En insufflant une dimension d’inquiétante étrangeté dans le mobilier qui partage nos vie de tous les jours, il nourrit la technophobia (N.Masato).

« Il a l’impression que quelqu’un est entré dans son propre corps. Incroyable ! Ce n’est pas une machine qui a enregistré cette cassette, mais un être humain qui possède ses cinq sens, qui a utilisé la vue, l’ouïe, l’odorat, le goût et le toucher. Ce qu’il ressent juste à ce moment là, est insupportable, car pour lui, quelqu’un s’est introduit dans tous ces organes sensitifs… Il a regardé les images comme si une présence étrangère l’habitait. »

Scène culte où Sasako surgit de l’écran de télévision, Ringu, Hideo Nakata (1998)

MONSTRUEUSE FÉMINITÉ

Les adaptations cinématographiques ignorent souvent l’aspect hermaphrodite de Sadako, et insistent sur le genre féminin. Le réalisateur de Ringu, Hideo Nakata, a ainsi choisi de remplacer les personnages masculins du roman par un homologue féminin, mère journaliste divorcée, et son ex-mari, professeur de mathématiques à l’université. Le motif du ménage monoparental s’impose dans les films de J-Horror et les héroïnes sont souvent des mères célibataires (Ringu, Dark Water). Elles incarnent les changements sociaux du Japon contemporain : l’émergence d’une génération de femmes diplômées qui viennent travailler aux côtés des hommes sur le marché de l’emploi et refusant de se cantonner au foyer (McRoy). La monstruosité de Sadako et sa capacité à hanter les objets audiovisuels fait resurgir les craintes et anxiétés masculines face à la croissance exponentielle des femmes indépendantes, reflétant les progrès technologiques mondiaux du tournant du siècle (Colette Balmain 2008, Maekawa Osamu 2015).

De plus, la vision de la femme destructrice, diabolique et cruelle, reflète une certaine misogynie patriarcale et une peur inconsciente de la puissance des femmes et de leur sexualité (Creed : 1993 ; Ellis-Rees). Au Japon, le corps féminin fut longtemps assimilé à une créature éloignée du genre humain, un monstre étrange et inquiétant (F.Bihan-Faou, C.Sonoda : 1992). Les femmes enceintes devaient se retirer à l’écart dans une cabane isolée ubuya, kariya ou koya afin d’accoucher loin des regards (M.Hladik). Les deux pôles opposés du sacré hare 晴れ et de la souillure kegare 汚れ se rejoignent dans un corps à la fois sanglant et divin, où le tabou de l’interdit tatari 崇りcôtoie le domaine du sacré.

La déesse primordiale, Izanami morte en couche en donnant naissance aux kami du feu, devient un cadavre prisonnier du Yomi no Kuni 黄泉の国, le ‘pays de la nuit éternelle’. Izanagi, son mari éploré tente de la retrouver mais à la vue de sa charogne immonde, il prend la fuite poursuivit par son épouse devenue un être démoniaque. Bloquant d’un énorme rocher l’entrée du passage vers le royaume souterrain, Izanagi ferme symboliquement la frontière entre les deux mondes. La femme est de fait liée à la mort car elle est marquée par la putréfaction.

Ainsi, au Japon, les fantômes sont associés aux notions de « souillure inhérente au corps féminin », incluant le tabou du sang et de la grossesse. Les discours bouddhistes décrivent la femme comme ingouvernable et soumise à de mauvaises émotions (luxure, amour, jalousie, rancune) (S.Shimazaki). Sadako fait partie de ses femmes furieuses transformées en entités monstrueuses qui refusent de se réconcilier avec le passé ou de raconter leurs histoires (la découverte des restes de Sadako n’annule pas la malédiction) ; au contraire, elles sont envahies par le désir de nuire sur le présent (S.Shimazaki).

La violence impitoyable de Sadako l’empêche d’être une victime. Le spectre vengeur est une figure potentielle de résistance contre un patriarcat conservateur (Valérie Wee). Ainsi, Sadako l’antagoniste victime de la violence masculine, inverse le rapport de force en devenant une « victime-héros » (Ellis-Rees). Le fantôme joue donc un rôle cathartique libérateur en brisant les codes sociaux, il est un censeur des vivants et des morts (L.Caillet). Capables de vaincre les riches et les puissants, les « malemorts surgissent de l’autre monde pour instaurer un désordre proliférant qui s’oppose au régime du souverain », ils viennent « stigmatiser l’arbitraire et la violence injuste du Pouvoir » (Anne Bouchy).

LE VIRUS DE LA PEUR

La menace spectrale de Ring est assimilée à une nouvelle maladie transmise au grès de nos interactions sociales. Un virus incurable, dont il est impossible d’évaluer la portée, ni la panique qu’il pourrait engendrer. Pour le héros Asakawa, ce fléau diabolique est « une épreuve pour l’humanité. Les démons apparaissent sous des formes différentes à chaque époque. On a beau essayer de s’en débarrasser, ils reviennent toujours. » Cette maladie inconnue dont les symptômes n’ont pas été diagnostiqués est associée à l’action de démons malfaisants. Car au Japon, les entités néfastes ont longtemps été la cause des épidémies et des fléaux. Comme les virus, elles « évoluent le long d’un frontière qui sépare la vie de la mort. »

Ce virus, qui se nourrit de nos liens sociaux et du ressentiment de son fantôme, est destiné à se propager de façon exponentielle. : « la vengeance de Sadako entrerait dans une nouvelle logique culturelle du simulacre dans laquelle les copies de copies ne cesseraient de varier en fonction d’un original perdu » (D.Arnaud). La multiplication du phénomène mènerait inévitablement l’humanité à sa perte : « la prolifération de simulacres à travers les médiations technologiques confronterait alors l’individu à une altérité post-humaine à même d’altérer son identité » (D.Arnaud).

« L’essence même de ce sortilège est vraiment simple. N’importe qui peut conjurer le sort. Il suffit de copier la cassette et de la faire voir à quelqu’un… En montrant cette vidéo à une personne qui ne l’a jamais vue, on participe à sa propagation. »

Le film Ringu joue de ce phénomène de répétition, en multipliant les effets circulaires (effets sonores et déformation de l’image), jusqu’à créer une boucle narrative : le film commence et finit sur un motif liquide qui se fond avec celui des ondes technologiques. Le choix du titre du livre est un jeu de mot du romancier : ringu signifie ‘anneau’ mais aussi ‘appeler quelqu’un’, c’est l’onomatopée d’une sonnerie de réveil ou de téléphone (Meikle, Suzuki).

La peur d’une maladie était l’inspiration initiale de Suzuki, qui expliquerait la mort simultanée de plusieurs personnes sans liens apparents. Finalement, le ‘virus’ devient visible, il passe par le regard. Le regard, c’est la source du pouvoir de la lignée Yamamura qui possède le ‘troisième œil’, cette capacité de vision extralucide, mais c’est aussi ce pouvoir de double vue qui plonge cette famille dans l’affliction ; il est la cause et la source de leur malédiction. Et c’est encore par le visionnage de son adaptation, que l’épidémie de Ring s’étend.

Preuve de l’impact du phénomène, le 10 août 2002 ont été tenues à Tokyo les funérailles de Sadako Yamamura, en présence de ses créateurs : l’écrivain Koji Suzuki et l’éditeur Tsuguhiko Kadokawa. Étrange cérémonie, ayant lieu durant l’Obon, qui évoque les goryo-e, ces rites d’apaisement des esprits en colères (Ellis-Rees). Si l’âme de la fictive Sadako a trouvé le repos, l’héritage macabre de ce fantôme cinéaste, lui, continuera encore longtemps à se mêler à nos cauchemars modernes…

«Seul le ciel de Tokyo se reflète dans son rétroviseur. Il est chargé de nuages noirs de mauvaise augure, qui rampent tels les serpents annonciateurs de l’Apocalypse. »

Le regard fatal de Sadako, Ringu de Hideo Nakata (1998)
SOURCES :
  • Arnaud, Diane. « L’attraction fantôme dans le cinéma d’horreur japonais contemporains », L’horreur au cinéma, vol20, n°2-3, 2010
  • Collectif, De la malemort en quelque pays d’Asie, sous la direction de Brigitte Baptandier, Editions Karthala, 2001
  • Collectif, Enfers et fantômes d’Asie, Musée du Quai Branly, Flammarion, 2018
  • Davisson, Zack. Yurei – The Japanese Ghost, Chin Music Press, Seattle, USA, 2015
  • Ellis-Rees, Anna. « Victim or Monster ? Fear and Female Revenge in Three Contemporary Japanese Horror Films », Beyond Kawaï – Studying Japanese Feminities at Cambridge, Lit Verlag GmbH & Co. KG Wien, Zürich, 2020
  • Hladik, Murielle. Cabanes, ermitages et pavillons de thé au Japon. Lieux de réclusion, d’isolement ou de méditation, 2001
  • Holm, Nicholas. « Ex(or)cising the Spirit of Japan – Ringu, The Ring, and the Persistence of Japan », Journal of Popular Film and Television, Vol 39, Issue 4, 2011
  • Joubert, Grégoire. « Les fantômes t’emporteront » / Ring, de Koji Suzuki, / Double hélice, de Koji Suzuki. Revue Spirale, (191), 53–53, 2003.
  • Kanayawa Shogo. Des esprits vengeurs aux fantômes tragiques. La vision du fantôme dans la culture japonaise, Phantoms in Japanese Culture, Fundatia Culturala Echinox, 2011
  • Lachaud, François. « La femme et le serpent : le bouddhisme et ses démons dans le Japon d’Edo (1603 – 1867) », Images et imaginations : Le bouddhisme en Asie, Paris: École française d’Extrême-Orient/Musée Guimet, 2009 : 178-205.
  • Masato Nihei. Spiritualism and modernism in the work of Kawabata Yasunari, Japan Forum, 30:1, 69-84, 2018
  • McKay Ball, Sarah. The Uncanny in Japanese and American Horror Film : Hideo Nakata’s Ringu and Gore Verbinski’s Ring, Thèse de Masters of Arts, North Carolina State University, 2006
  • McRoy, James. « Ghosts of the Present, Spectres of the Past: the kaidan and the Haunted Family in the Cinema of Nakata Hideo and Shimizu Takashi », Nightmare Japan, Boston, USA, 2008
  • Newbery, Emma. Why so sad, Sadako ? An investigation into the development of the traditional Japanese female vengeance ghost from ancient myth to modern day cinema production, lieu et date inconnue
  • Sabouret, Jean-François. L’Autre Japon, les burakumin, 1983
  • Shimazaki Satoko. Edo Kabuki in Transition – From the Worlds of the Samurai to the Vengeful Female Ghost, Columbia University Press, NY, 2016
  • Takasuna Miki. The Fukurai affair : parapsychology and the history of psychology in Japan, History of the Human Science, 2012
  • Trouillard, Emmanuel. « Fantômes en réseaux », Géographie et cultures, 106 | 2018, 17-34.
  • Wee, Valerie. Patriarchy and the Horror of the Monstrous Feminine – A comparative study of Ringu and The Ring, Feminist Media Studies, 11:2, 151-165, 2011

Hirano Keiichirô – Conte de la première lune

Le rêve, le koi, la mort

Keiichirô Hirano 平野 啓一郎 est un écrivain japonais né en 1975 à Gamagōri dans la préfecture d’Aichi. Après des études de droit à l’Université de Kyoto, il rédige en 1998 à l’âge de 23 ans, son premier roman L’Éclipse 日蝕 Nisshoku. Une œuvre qui lui vaut le prix Ryūnosuke Akutagawa 芥川龍之介賞 grâce à sa plume riche de kanji rares et peu employés, et son sujet atypique : la France du XVe.

Ses récits traduisent en effet un intérêt pour la culture occidentale (Sôsô 葬送 ‘Funérailles’ 2002) et l’influence d’auteurs comme Baudelaire, Balzac, Flaubert, Tolstoï ou Dostoïevski. Hirano est aussi un grand admirateur de Yukio Mishima 三島 由紀夫 (1920-1975) et son Pavillon d’Or (1956), immense écrivain japonais, dont il partage le goût du tragique et des conflits personnels. C’est en 1999 qu’il publie Conte de la première lune (一月物語 Ichigetsu monogatari) fable sur le rêve et l’amour.

Couvertures des éditions japonaises, coréennes, chinoises et arabes.

Le triste destin des poètes

En l’an 30 de l’ère Meiji (1896), Masaki Ihara, jeune lettré de Tokyo, souffrant de neurasthénie, soigne sa mélancolie en voyageant. Ce vagabond du hasard, se laisse porter sans choisir de destination, en fuyant l’ennui qui semble le ronger. Dans la tradition littéraire japonaise, le voyage représente « autre chose qu’un simple déplacement », il est « avant tout, une expérience poignante de la fluctuation des choses » (J. Pigeot). Le voyageur tabibito 旅人 est une figure symbolique capable de ressentir des émotions puissantes : ryojō 旅情 ‘sentiment du voyage’, ryoshū 旅愁 ‘mélancolie du voyage’, ou encore aware 哀れ ‘émotion poignante’.

Son prénom lui-même est une évocation du monde littéraire, choisit en hommage à une pièce de portant sur les amours de Fujiwara no Teika 藤原定家 alias Sadaie (1162-1241). Masaki est synonyme du lierre de Teika, plante qui aurait embrassé la tombe du grand amour de ce poète et fonctionnaire impérial de l’ère Heian (794–1185). Il crée le concept esthétique de yôen ou « beauté éthérée », comme « la vision d’une jeune femme céleste descendant sur terre dans le halo d’un clair de lune flou au printemps » (A. Giard). Une femme hors d’atteinte, issue d’un monde proche du divin, à l’image de Shokushi Naishinnô (1149-1201), la troisième fille de l’empereur Go-Shirakawa, dont il s’éprit. Or la belle, en plus d’être d’un rang bien supérieur au sien, était destinée à devenir grande vestale de Kamo, et ainsi, à rester pure de tout contact avec les hommes.

Comme son illustre prédécesseur, Masaki est un poète talentueux au tempérament passionné et romantique, à la recherche d’une « exaltation pure et non durable, qui transcende l’instant d’une manière ou d’une autre. » De façon singulière, il est pris dans un conflit dualiste à l’occidentale, son éducation japonaise confucianiste se heurtant à sa volonté d’exister en tant qu’individu. Et, à l’instar des héros byroniens, son destin est lié au tragique.

La fatalité couvre de son ombre le jeune poète, et par trois fois, va influencer irrémédiablement le cours de son existence. D’étranges rencontres, qui semblent des apparitions : comme cette jeune beauté à l’ombrelle qu’il décide de suivre dans le train. Puis c’est un vieillard fou, tantôt rieur ou silencieux, se présentant comme le membre d’un ancien groupe de samouraïs, pourtant tous décapités pour avoir fomenté une révolte contre le shogun, qui le pousse malgré lui à poursuivre son voyage. C’est alors qu’un grand papillon égaré se met à danser devant lui.

Terre de légendes et de sang

C’est dans la province de Nara, près du village isolé de Totsukawa, considéré aujourd’hui comme le plus grand du Japon, que le jeune homme descend du train. L’histoire de cette région est troublée par la crise religieuse qui la frappa quelques décennies plus tôt. Car en 1868, une réforme visant à diviser le bouddhisme du shintoïsme, généra une violente persécution et la destruction de nombreux lieux saints, dans un Japon déterminé à éradiquer le bouddhisme qui s’était imposé depuis plusieurs siècles.

Comme sous l’emprise d’un sortilège, il est pris au piège de la forêt du mont Osendake. La morsure venimeuse d’un serpent aux yeux rouges le plonge dans la douleur. C’est dans un ermitage retiré dans les hauteurs boisées, habité par En’yû un moine ascète d’une secte zen, que le héros s’éveille pris dans les délires de la fièvre qui prend communément les gens ayant été en contact avec des êtres surnaturels.

Ce refuge est situé dans la montagne, un espace naturel isolé où vivent les non-humains. Ce lieu particulier, loin de toute vie humaine, fait partie de ces « zones liminaires de contact avec l’au-delà. » « En marge du quotidien, ces lieux ‘sauvages’ sont aussi des lieux ‘sacrés’ associés aux domaines des dieux, des morts et des esprits, bref, de toutes ces ‘présences’ auxquelles on a donné le non générique de kami » (Murielle Hladik). Y vivent les médiateurs, chargés d’intercéder avec les forces invisibles : onmyôji 陰陽師 (exorcistes), yamabushi 山伏 (ascète des montagnes), prêtres-mendiants, miko 巫女 (prêtresses) itinérantes, amabe (troubadours japonais). À la fois craints et méprisés, ces parias jouent pourtant un rôle clé dans la société.

Réalité fugitive

Dans ce lieu mystique et sauvage, Masaki semble plongé dans un autre monde. Lentement, les contours de la réalité s’estompe. Masaki perd le fil du temps, symbolisé par la disparition de sa montre à gousset; il cesse de faire le décompte des jours. Il « se sentait en proie à une étrange illusion : il était coupé du temps où se déroulait la réalité.[…] Il lui semblait qu’ici, un temps différent s’écoulait. Ou encore, que le temps ne s’écoulait pas. » Pris d’hallucinations visuelles et auditives, il voit la nature du paysage changer « comme si le temps se déformait et s’écoulait de plus en plus vite au fur et à mesure. » La sensation d’être dans deux endroit à la fois le tiraille : son corps présent au temple se superpose à un autre, blessé dans la forêt.

Il compare son expérience au récit d’Urashima Tarô 浦島 太郎, une ancienne légende transformée en conte otogi banashi おとぎ話, dont on retrouve les premières ébauches dans Le Nihongi 日本紀 (Chroniques du Japon de 720), texte fondateur du pays, puis dans le Man’yôshu 万葉集 (Recueil de dix mille feuille de 760). C’est l’histoire d’un pêcheur qui s’éprend de Oto-hime 乙姫, la fille du Roi-Dragon qui règne sur les mers. Entraîné au pays de Tokoyo 常世, le monde de l’immortalité ou Yomi no Kuni 黄泉の国 ‘le pays de la nuit’ contrée des êtres surnaturels, il passe des jours heureux avec son épouse aquatique dans le palais sous la mer Ryūgū-jō 竜宮城.

Mais la nostalgie terrestre le prend et il décide de remonter à la surface. La princesse lui confit alors sa précieuse boîte à peigne tama-tebako 玉手箱 ‘boîte de la main aux joyaux’ dont le nom tama peut signifier ‘l’âme’, la ‘force vitale’ ou la ‘perle-joyau’, avec interdiction de l’ouvrir. A son retour, ne reconnaissant plus son village, Urashima transgresse l’interdit et ouvre le coffret dont s’échappe une fumée blanche. Les 300 années, jusque-là arrêtées, reprennent leur cours et le jeune homme devenu vieux, meurt et disparaît.

Tsukioka Yoshitoshi 月岡 芳年 (1839-1892), Urashima Tarô de retour sur une tortue du Palais du Dragon, 1886

Songe et illusion

Chaque nuit, un même rêve hante Masaki et le rend fou d’amour : caché dans l’ombre de la nuit, il observe une femme nue qui se baigne et se coiffe dans la lumière lunaire, au cœur d’une forêt, mais le songe se dissipe toujours au moment de cassure, celui où la femme alertée par le bruit se retourne.

Omokage 面影 exprime une vision, une trace, un vestige. Image confuse et insaisissable, c’est « la ‘vision’ immatérielle, née d’une aspiration profonde de l’être » (A. Giard). Omokage est issu de omo ‘visage’ ou ‘surface’ et de kage, ce qui émane du corps ‘rayons lumineux’, ‘ombres’, ou ‘miroitements’. Lié à l’esthétique du flou et au thème de l’amour, il est très utilisée en poésie waka, souvent conjugué avec le motif de la lune. Comme le déclare Shinkei au XVe : « le vrai poète est celui qui peint non pas les réalités (keibutsu 景物) mais le halo qui les entoure (omokage 面影) » (J. Pigeot).

Cette beauté énigmatique qui obsède Masaki efface le monde réel au profit du filtre brumeux des sentiments. Le rêve désigne le voyage intérieur qui mène l’esprit à la limite de l’immatériel. Dans ce monde flottant où tout est illusion, comment distinguer le réel ? « On parle de rêve, de réalité, comme de deux choses totalement distinctes. Pourtant, il me semble qu’il s’agit d’une seule et même illusion » se murmure Masaki.

«Pour accepter l’étrangeté de tous ces événements, il suffisait de l’attribuer à une distorsion générale de la réalité. Cela ne demandait pas le moindre effort. On y croyant, ou l’on n’y croyait pas, c’était la seule alternative. Masaki avait choisi d’y croire. »

La présence du papillon dans le roman n’est pas anodine. Symbole même de la métamorphose des êtres, le papillon cho 蝶 est lié à la thématique du rêve dans l’imaginaire asiatique. Le rêve du papillon, est une fable de Tchouang-tseu (ou Zhuangzi 莊子 369-286 av. J.-C.) issue de son Discours sur l’identité des choses. Le sage rêve qu’il est un papillon, mais à son réveil, il se demande si ce n’est pas le papillon qui a rêvé qu’il était le sage. Cette parabole philosophique taoïste a profondément influencé le bouddhisme chinois Chán 禅 ou 禪 ‘médiation silencieuse’, devenu bouddhisme Zen au Japon. Chez Hirano, l’insecte ailé est un avatar de la figure féminine, il guide le héros à travers les ombres de la forêt mais aussi dans les méandres de son esprit. Le frêle contact du papillon le maintient éveillé, « ses ailes élégantes reliaient le monde de l’illusion à celui de la réalité. »

Kikukawa Eizan 菊川 英山 (1787–1867), Coquelicots et Papillon 芥子に胡蝶

Femme surnaturelle

Cette nymphe onirique dont s’éprend le héros, ne semble pas appartenir au monde des humains. Ses origines sont énigmatiques et liées au monde de la nuit. Sa mère, beauté crépusculaire au nom liquide d’O-taki ‘cascade’, disparaît une nuit sans lune dans les ombres de la montagne. Réapparue en même temps que l’astre, elle se dit enceinte d’un énorme serpent (animal associé à l’amour et l’eau).

Nommée Takako, l’enfant inspire la terreur de sa mère qui se jette dans la rivière, une nuit d’été de lune rousse. Ce suicide aquatique prédestiné nourrit les superstitions autour de l’orpheline qui suscite la peur et la méfiance. Un bonze décèle chez elle le mauvais œil qui apporterait la mort à ceux qu’elle regarde. La prenant en pitié, le moine En’yû décide de garder l’enfant. Au fil du temps, des rumeurs naissent sur l’ermitage perdu dans la forêt qui égare les voyageurs. On dit que seul un beau jeune homme, fait prisonnier par la magie, serait en mesure de voir cette femme spectrale.

Takako est le fruit d’un meikon 冥婚 un ‘mariage de l’ombre’ entre une humaine et un être surnaturel (A. Giard). Ce viol « divin » et sa nature de femme la rendent doublement mystérieuse et la condamne à se cacher. Car dans l’imaginaire japonais la femme se tient à l’écart, dissimulée par le secret des cloisons, des paravents, des brumes et de la nuit. Héroïne tragique, enchaînée à sa prison nébuleuse, Takako est vouée au néant par un amour destructeur et funeste. Elle ne peut résister à cette passion qui la dévore et se lamente de son sort.

« Je rêvais de vous en train de me rêver … Pour moi, rêve et réalité sont une seule et même chose. »

Comme Hirano le rappelle, « les choses trop belles ne vivent jamais très longtemps. » Or, Masaki est doté d’une apparence « singulière pour le monde ordinaire », une beauté du diable que les artistes peignent sur les visages des « puissances néfastes qui se dressent face à l’existence noble des dieux. » Dans ses yeux brûle la flamme de la passion, si forte qu’elle en devient presque démoniaque. Quand à sa bien-aimée, à l’image de sa mère, cette figure de l’ombre possède une « beauté mélancolique et discrète », une « beauté éphémère qui n’appartient qu’au domaine du songe. »

Tsukioka Yoshitoshi 月岡 芳年 (1839-1892), Illustration du chapitre « Yugao » (夕顔 ‘Belle de nuit’), tiré du roman Le Dit du Genji ( Genji Monogatari 源氏物語) de Murasaki Shikibu, Estampe issue de la série des « Cent Aspects de la Lune » (Tsuki hyaku Sugata 月百姿), 1885

Affres du Koi

Ce couple onirique est pris dans les tourment du koi 恋, ce ‘moment d’intimité instantané’ propre à la sensibilité japonaise. Le koi n’est pas l’amour (définit par ai 愛) mais la douloureuse solitude qui déchire l’être éloigné de l’objet de son désir. On en retrouve les traces dans le Man’yôshu. Issu de kou qui signifie ‘demander’, ‘mendier’, le koi exprime le désir inassouvi, sans frontières, qui transcende les lois de l’espace et du temps (A. Giard).

« Le koi, comme l’illusion, ne peut exister que si l’on reste pris dans cette sorte d’aveuglement qui nous fait ignorer ses ressorts. Le koi ne peut vivre que sur le mode de l’illusion et, bien évidemment, rien n’est plus difficile à maintenir, ce qui explique pourquoi toutes les histoires d’amour sont condamnées à finir » explique Takeo Funabiki, anthropologue à l’université de Tôkyô.

C’est pourquoi la passion qui étreint Masaki et Takako ne peut aboutir qu’à leur anéantissement. Le koi ne dure jamais, il s’abîme dans une agonie inéluctable. Dans les brumes du mont Osendake, Masaki écoute le chant lancinant du coucou hototogisu. Dans la poésie de l’époque Heian, cet oiseau est devenu l’incarnation d’un appel sans retour vers l’être aimé. Parce qu’il chante à la saisons des pluies, celle des épidémies et des inondations, il est devenu un animal psychopompe, le ‘guide des monts de la mort’ (A. Giard).

Takako, la femme enchantée, ne peut que mener à sa perte l’homme aimé. Lorsque Masaki entreprend sa course désespérée pour la rejoindre, il se condamne à être déchiré par les sortilèges de la forêt. Sa poursuite éperdue ressemble à un michiyuki 道行文, un trajet vers la mort. Ce voyage ‘chant de route’ que réalisent les amants avant de se suicider dans le théâtre japonais (Kato Shûishi). En effet, le couple ayant conscience de la fatalité de leur amour, entreprend un dernier dialogue empli de pathos.

Une joute verbale s’engage entre eux. Elle le suppliant de renoncer à cet amour fatal, lui la priant de le voir. Invoquant « la femme et la mort, il fallait qu’il possède les deux, en cet unique instant » car, dans son agonie amoureuse, il vivra un « instant de pureté totale, un instant absolu […] qui ne sera pas souillé par la perspective d’un quelconque avenir. » C’est un appel passionné à la mort, tandis que la vision et le temps s’échappent, la lune sombrant dans un dernier soupir. La tentative d’échange de regards peut aussi se comprendre comme un acte charnel. Au Japon, où le verbe ‘voir’ miru 見る est synonyme de ‘faire l’amour’, l’union se fait avec les yeux.

Romantisme nippon

On lit ce livre comme on lirait un rêve et tout le roman vibre de cette triste fantasmagorie qui imprègne les pages. Cette tragédie crépusculaire est, à mes yeux, une ode à la passion telle que la peignait les écrivains romantiques les plus enfiévrés. Hirano y ajoute une sensibilité propre aux féeries nippones et dissémine de nombreux éléments métaphoriques propres à la poésie japonaise classique. L’appellation Ugestsu monogatari fait directement allusion aux contes et aux légendes qui se transmettent depuis la nuit des temps, contant les amours torturés de nymphes et de mortels.

Hasui Kawase 川瀬 巴水 (1883-1957), Pleine lune à Hiroura, Hinuma, 1946, estampe dans le style Shin-hanga 新版画 ou Renouveau pictural
Sources :
  • Brosseau, Sylvie. « Jacqueline Pigeot, Michiyuki-bun, poétique de l’itinéraire dans la littérature du Japon ancien« , Cipango, n°17, 2010, 247-261
  • Durand-Dastès, Vincent ; Lanselle, Rainier. « Le récit de rêve en Asie orientale : langues et genres« , Extrême-Orient Extrême-Occident, n°42, 2018
  • Giard, Agnès. Les Histoires d’amour au Japon. Des mythes fondateurs aux fables contemporaines, Paris, Drugstore, 2012
  • Hladik, Murielle. Cabanes, ermitages et pavillons de thé au Japon, Éditions du Bergier, 2001
  • Hladik, Murielle. Traces et fragments dans l’esthétique japonaise, Éditions Mardaga, 2008
  • Shûishi, Kato. Le temps et l’espace dans la culture japonaise, CNRS Éditions, 2002
  • Lie Tseu, Traité du vide parfait, Spiritualités vivantes, Albin Michel, 1997

Takashi Hiraide – Le chat qui venait du ciel

Poétique de l’impermanence

Aux fleurs de pruniers

Je parsème de sardines

La tombe de mon chat.

Kobayashi Issa (1763-1828)

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Tout d’abord, il fut un jardin. Et dans ce jardin vivait un chat.

Locataires dans un pavillon d’une maison traditionnelle japonaise, un couple tisse une relation amicale avec un jeune félin, et voit défiler les saisons paisiblement … jusqu’à l’inévitable séparation. C’est sur une rencontre inopinée que se dessine la trame de ce roman-poésie de l’auteur japonais Takashi Hiraide.

Né en 1950 à Moji dans la préfecture de Fukuoka, Takashi Hiraide 平出隆 est un homme de lettres, poète et enseignant à la Tama Art University. Etudiant à l’Université Hitotsubashi de Tokyo, il s’est intéressé à la poésie contemporaine japonaise avant de publier un recueil Hatagoya 旅籠屋 en 1976. Marié à la poétesse Michiyo Kawano, il se confond avec son narrateur dans cette semi-autobiographie douce-amère qui nous fait vivre la fin de l’ère Shôwa (1926-1989) et qui préfigure pour le Japon la crise économique des années 90. Ce roman est paru en 2001 sous le titre original Neko no kyaku 猫の客 (The Guest Cat dans sa version anglophone).

C’est aussi le chant du cygne du XXe siècle : la mort de l’empereur et celles d’amis poètes parsèment le récit ainsi que le départ des vieux propriétaires de cette demeure traditionnelle en sursis, symbole d’un Japon ancestral voué à s’effacer face à l’avancée dévorante du monde moderne. C’est l’inévitable fin de toutes choses dont le narrateur fait la douloureuse expérience.

De gauche à droite : éditions japonaises, anglaise, coréenne et française.

Amitiés félines

Surnommé Chibi ちび synonyme de ‘petit’, le chat s’immisce dans la vie de ce couple sans enfants avec toujours une distance infranchissable qui les sépare. Chibi appartient aux voisins mais, épris de liberté, il vagabonde au grès de ses envies, faisant tinter le son de son grelot dans les allées fleuries, se faufilant part la fenêtre pour dormir dans les armoires.

« Lorsque nous ouvrions doucement la porte d’entrée à notre retour, nous le découvrions les deux pattes bien alignées sur la partie haute du vestibule, venus nous accueillir comme l’eût fait un enfant. « C’est notre chat ! » disait alors ma femme, sachant pertinemment que ce n’était pas vrai. Elle le couvait des yeux, persuadée que c’était un don que le ciel lui avait fait. »

Dans ce monde végétal voué à la métamorphose du cycle des saisons, se crée un lien intangible entre humain et animal. « Pour moi, Chibi est un ami qui me comprend, un ami qui a l’apparence d’un chat », déclare la femme du narrateur.

Le jeune félin grimpe aux arbres avec la fulgurance de l’éclair « comme pour aider le tonnerre à venir » et, à l’image du dieu de la chasse Soratsuhiko dit aussi Hoori ホオリ du Nihonshoki 日本書紀 (Les Chroniques du Japon de 720), ce « beau visiteur », qui n’appartient pas « au commun des mortels », possède la beauté irréelle du monde céleste. Du propre aveu du narrateur « ce Chibi était une merveille […], si petit et si frêle qu’on remarquait tout de suite ses oreilles pointues et mobiles à l’extrême. » Il dégage une « impression de mystère […] parfaitement au-delà du monde des humains, un être n’appartenant ni au ciel ni à la terre. » Comme l’orme ancestral ou enoki えのき, cet arbre à sortilège bakemono 化け物 / ばけもの, qui couvre le jardin de son ombre ; Chibi serait-il un être surnaturel ?

De ce jardin-forêt, le chat semble être le maître, l’esprit-gardien, incarnation de l’âme du lieu. Sa disparition le vide de son essence, abandonné par sa divinité, le jardin s’étiole. Avec la mort brutale du chat, c’est aussi la perte de la demeure qui est symbolisée. Bientôt les arbres seront coupés et la maison rasée, il n’en restera plus qu’un souvenir ténu : « Le jardin semblait appartenir à une autre maison, complètement inerte, il me parut sans vie. J’ai pris plusieurs photos, dans l’espoir de découvrir l’ombre du passage de Chibi. »

« Sous cet orme, il y avait une histoire. Au pied d’un jeune pin dont on disait qu’il avait grandi dans l’ombre de l’immense feuillage, un petit être semblable à une perle fine reposait. »

Le pin, matsu 松 qui signifie ‘attendre’ ou ‘éternité’, est le sanctuaire idéal des kami, ces présences immortelles qui appartiennent à l’autre-monde Tokoyo 常世 ‘la terre éternelle’, celui de la permanence (Gérard Martzel). Arbre au feuillage intangible, pouvant être plusieurs fois centenaire, le pin est au Japon le sujet d’un culte lié à la fertilité et à la régénération (Agnès Giard). C’est donc sous le couvert sylvestre sacré que le chat-esprit sommeille.

Hishida Shunsō 菱田春草 (1874-1911), artiste de l’ère Meiji, créateur du style Nihonga 日本画, connu pour ses œuvres délicates mettant en scène des chats

Poignance des choses

Au Japon, l’espace et le temps ne sont pas dissociés mais unis et désignés par le concept de ma . Ma est la pause, le silence, une « constante déchirure de la trame du monde » (Salat & Labbé, Delay). C’est l’intervalle qui sépare les actions des choses, ce sont des « traces destinées à révéler le vide », « il nous relie sans cesse à l’infini et au néant » (Salat & Labbé). Représentant un soleil glissé sous une porte, il signifie la ‘distance’, le ‘vide’, la ‘durée’ qui sépare deux choses.

Le temps n’est pas une réalité linéaire mais une succession d’instants, de fragments d’existence, qui se tissent les uns aux autres dans un cycle infini de recommencements. Dans ce mouvement circulaire sans commencent ni fin, principe fondateur du zen, où s’accumule une succession de petits riens, même la chose la plus insignifiante renferme le sacré (Taro Okamoto).

Dans ses Notes de chevet (枕草子, Makura no sōshi) rédigées vers 990-1002, la lettrée Sei Shōnagon (清少納言) emploi l’expression mélancolique mono no aware 物の哀れ, les choses propre à émouvoir, pour qualifier ces instants fugaces qui étreignent le cœur. Le vol délicat d’une libellule autour d’un jet d’eau, la danse des ombres contre une baie vitrée, la pluie de feuilles mortes à l’aube de l’automne, ou le jeu d’un chat avec une balle.

« Ce fut un moment fugitif, mais qui dura longtemps », nous conte le narrateur, dans un état de grâce intime avec une libellule, « au milieu du jardin qui se préparait à ne plus recevoir la visite de personne, ce jardin qui de façon presque troublante était éloigné des regards proches, il avait posé sur mon doigt ses quatre ailes transparentes et ses deux yeux proéminents. »

Au XVIe siècle, cette prise de conscience de l’éphémère fit naître une véritable esthétique de l’impermanence, le iki 粋 ou 意気. Rien n’est plus touchant qu’une fleur au crépuscule de sa vie. Dans ce pays où la nature mouvante provoque typhons et séismes, s’est développée la conscience accrue de la finitude des choses (Bonnin, Pezez-Massabuau).

Au Japon, la beauté est empreinte de mélancolie car selon le concept philosophique du mujo 無常 tout est voué à dépérir et à disparaître (M. Delay). La célébration des cerisiers en fleurs Hanami à l’aube du printemps, dédiée à l’observation d’une floraison éphémère, en est un bon exemple. Selon Lao Tseu (太上老君 Tàishàng lǎojūn, ‘Seigneur suprême Lao’, VIe-Ve av. J.-C.), « le devenir cyclique ne cesse jamais ; épanouissement et décrépitude s’engendre et leurrent perpétuellement, liés par d’invisibles transitions » (Delay).

L’art floral, la poésie, la calligraphie, la conception des jardins ou la voie du sabre ; toutes ces pratiques sont traversées par l’infini et le vide dans ce cheminement vers la nature véritable du monde (Giard, Salat & Labbé). L’esthétique est liée au concept de nature et du naturel sans artifice shizen 自然 que l’humain cherche à révéler au travers de ses créations (Bonnin ; Pezez-Massabuau). Ainsi, l’architecture japonaise traditionnelle ne s’impose pas à la nature mais s’y adapte. Les habitations faites de matériaux naturels sont fragiles et temporaires, influencées par le wabi-sabi 侘寂, l’esthétique du dépouillement (Bonnin ; Pezez-Massabuau).

Oka Fuhô dit aussi Baikei 梅溪 (1869-1940), Butterfly and Morning Glory (Asagao yucho 朝顔遊蝶), v. 1800 ère Meiji, Museum of Fine Arts Boston

Contemplation méditative

Au fil des pages et des saisons, Hiraide distille des rêveries discrètes mais profondes. Ce petit roman en apparence si simple, dévoile une vérité universelle, celle du cycle de la vie : naissance, décrépitude et mort … et puis, enfin, renouveau.

Tout commence par une rencontre inopinée. Une douce relation se crée. Mais, trop tôt déjà, elle s’achève. S’en suit un douloureux départ. Puis une nouvelle vie apparaît et de nouvelles rencontres. Une famille de chats errants dans un immeuble entouré d’ormes. Un autre lien se tisse et le cœur lentement se console.

En refermant les pages du livre, mon cœur s’est étreint. Une étrange émotion à la fois tendre et triste. Je me suis dirigée vers le jardin et je l’ai contemplé pendant un long moment…

Utagawa Hiroshige 歌川広重 (1797-1858), Vue 101 : Rizières d’Asakusa et festival Torinomachi, issue des Cent vues d’Edo (名所江戸百景, Meisho Edo Hyakkei), Ukiyo-e, 1857
SOURCES :
  • Bonnin, Philippe ; Pezez-Massabuau, Jacques. Façons d’habiter au Japon. Maisons, villes et seuils, Cnrs Éditions, 2017
  • Delay, Nelly. Le jeu de l’éternel et de l’éphémère, Éditions Philippe Picquier, 2004
  • Giard, Agnès. Les Histoires d’amour au Japon. Des mythes fondateurs aux fables contemporaines, Paris, Drugstore, 2012
  • Hladik, Murielle. Traces et fragments dans l’esthétique japonaise, Éditions Mardaga, 2008
  • Martzel, Gérard. Le dieu masqué : Fêtes et théâtre au Japon, Pof, 2002
  • Okamoto, Taro. L’esthétique et le sacré, Paris, Seghers, 1976
  • Salat, Serge ; Labbé, Françoise. Créateurs du Japon, le pont flottant des songes Hermann, 1986