Challenge littéraire : L’Automne Coréen

L’équinoxe est passé, nous célébrons la venue de l’Automne aux mille couleurs. Sous l’impulsion d’Emy de la chaîne littéraire Antastesialit, les mois d’Octobre et de Novembre aurons un petit goût de piment, de miel et de sauce soja. Pendant cette période, la Corée est à l’honneur!

Le moment idéal pour plonger au cœur de la culture coréenne et d’échanger sur toutes sortes de sujets : littérature de la poésie classique de Choi Chiwon aux weebtoons de Naver, cinéma des films d’auteur aux kdamas, musique du pansori à la kpop, cuisine du kimpap au jajangmyeong, histoire des Trois Royaumes à l’hypothétique réunification… Pour les intéressés, n’hésitez pas à parcourir les propositions de lectures d’Emy.

Littérature

Pour ma part, j’avais très envie d’écrire un article sur un roman historique se déroulant à l’ère Joseon mais, trop chronophage, je vais devoir remettre le projet à plus tard. Mon choix s’est donc porté sur cinq romans assez hétéroclites :

Nokcheon suivit de Un éclat dans le ciel de Lee Chang-dong 이창동 (녹천에는 똥이 많다 1992) publiés aux éditions du Seuil. Auteur et cinéaste engagé, Lee Chang-dong nous livres deux récits politiques qui font écho au régime militaire des années 80 dans une volonté de dénoncer l’oppression de la dictature.

Ma très chère grande sœur de Gong Ji-young 공지영 (봉순이 언니 1998), publié aux éditions Philippe Picquier. Ce récit, c’est un hommage rendu à Bongsoon unni, grande-sœur Bongsoon, la gentille jeune fille au large sourire qui prend soin de la narratrice pendant son enfance dans la Corée en mutation des années 60. Un témoignage tendre et poignant sur le Séoul des miséreux à travers les yeux de la fillette que fut la romancière.

Toutes les choses de notre vie de Hwang Sok-yong 황석영 (낯익은 세상 2011), publié aux éditions Philippe Picquier. Loin, très loin des beautés artificielles de la tentaculaire Séoul, vivent les perdants de la société du progrès, du prestige et du succès. Les sans-abris invisibles, naufragés d’une île décharge, qui contemplent avec une philosophie poétique la vacuité d’un monde qui les a oublié. L’immense auteur coréen se fait à nouveau le porte parole des sacrifiés du miracle économique coréen, lui qui critique depuis toujours l’injustice et l’intolérance dans des récits à l’écriture puissante.

Le Gambit du renard de Lee Yoon-ha (Ninefox Gambit 2016). Il s’agit du premier tome d’une trilogie space-opéra, Les Machineries de l’Empire, publié par les éditions Lunes d’Encre puis Folio SF. Une toile de fond militaire où une générale accueille en elle l’âme d’un dangereux stratège pour mater une rébellion qui met à mal l’ordre de l’empire stellaire. L’auteur, américain d’origine coréenne et mathématicien de formation, a écrit de nombreuses nouvelles de SF et de fantastique. Peu familière des sagas spatiales en littérature, je suis assez intriguée par ce roman et je me demande quels éléments issus de la culture coréenne l’écrivain a pu distiller dans son récit?

Carnets d’enquête d’un beau gosse nécromant de Jung Jaehan 정재한 (The Minamdang Case Note 미남당 사건수첩). Une ‘comédie policière’ de 2018 écrite par une web-autrice à succès, publiée aux éditions Matin Calme qui suit les péripéties d’un chamane bellâtre fort populaire mais parfaitement factice, amateur de luxe, d’insultes et d’arnaques au talisman. Ce qui s’éloigne sensiblement du rôle logiquement attendu. Il faut dire qu’avec une sœur cybernaute génie du hacking et un ami détective privé, les trois compères ont de quoi animer leur escroquerie. Sauf qu’un jour, une cliente le contacte pour une histoire de fantôme et les voilà avec un cadavre sur les bras…

Panel des couvertures en version originale

Kdramas

En ce qui concerne les kdramas, Emy nous propose le visionnage de 4 séries assez récentes : la série fantastique Goblin (2016), le thriller Save Me (2017), le drame historique Mr Sunshine (2018), et la comédie familiale Reply 1988 (2015-2016). Si vous me lisez, vous savez que j’apprécie déjà Goblin et Reply 1988, ce qui me laisse deux nouveaux dramas à découvrir :

Save Me 구해줘 est un thriller qui traite d’un sujet peu évoqué : les sectes et leur pouvoir destructeur. La série est diffusé sur la chaîne OCN, réputée pour ses dramas policiers à suspens (Tunnel 터널 2017, The Guest 손 2018, Strangers from Hell 타인은 지옥이다 2019 …). Il s’agit d’une adaptation du webcomic Out of the World 세상 밖으로 de Jo Geum-san 조금산.

Une famille venue de Séoul emménage dans le comté rural de Muji (inspiré de la ville de Cheongju, située dans la province centrale du Chungcheongbuk-do) et croise la route de quatre jeunes lycéens qui les aide après une panne de voiture. Les garçons sont vite charmés par leur fille, la belle Sang-mi qui va dans la même école. Mais les malheurs s’abattent sur la famille : le père est ruiné, le fils harcelé se suicide et la mère sombre dans une dépression. Leur voie de salut : la communauté religieuse locale de Guseonwon 구선원, si serviable et avenante, qui leur tend une main secourable inespérée.

Pourtant derrière les paroles doucereuses de charité et de pardon, se cache un piège terrible. Sang-mi voit impuissante ses parents se faire engloutir dans le culte du Tout Puissant 새하늘님, mené par la figure messianique du charismatique Père Spirituel (영부/靈父) Baek Jung Ki. La voilà prisonnière de l’église, à la merci de ses ambitions démoniaques. Le quatuor mené par les courageux Sang-hwan et Dong-cheol va alors tenter de la libérer après avoir entendu son appel désespéré : « Sauvez-moi ».

Le rôle titre est tenu par Seo Yea Ji 서예지 qui a notamment brillé dans le healing drama It’s Okay to Not Be Okay 사이코지만 괜찮아 (2020). Ses sauveurs sont incarnés par Ok Taec Yeon 옥택연, ancien membre du groupe 2PM, vu dans Dream High 드림하이 (2011) et Bring It On, Ghost 싸우자 귀신아 (2016) ; et Woo Do Hwan 우도환 (Mad Dog 매드 독 2017). Ils affrontent Jo Sung Ha 조성하, connu pour ses rôles secondaires dans de multiples dramas. Certains acteurs imitent le dialecte satoori 사투리 ce qui leur donne un accent inhabituel très amusant (qu’on retrouve d’ailleurs dans Reply 1988).

En Corée, toutes les organisations religieuses sont égales devant la loi mais l’état n’en ressence aucune. Elles bénéficient donc d’une immense liberté d’action car il n’existe pas de règlementation particulière. La religion protestante composée de baptistes, d’évangélistes ou de presbytériens est particulièrement dynamique. En témoigne les multiples croix rouges illuminées qui pullulent dans le paysage urbain nocturne. De nombreuses nouvelles religions sont des dérivations chrétiennes.

Le Guseonwon évoque ainsi les sectes du Salut 구원파 comme l’Église de l’Unification plus connue sous le nom de secte Moon (qui comprend plus d’un million de fidèles) dont le fondateur Sun Myung Moon se considère comme le nouveau Messie ou l’Église Shincheonji de Jésus 신천지예수교 증거장막성전 dont le chef spirituel se décrit comme un prophète immortel.

Les sectes coréennes font l’objet de multiples scandales. Elle sont régulièrement épinglées pour leurs liens douteux avec les partis politiques, l’embrigadement de leurs membres, leurs abus ou leurs refus de suivre les recommandations sanitaires. Certains témoignages évoquent des tentatives de recrutement auprès des jeunes ou des étrangers, et il n’est pas rare de voir déambuler dans les rues ou le métro, et ce dans l’indifférence générale, des prédicateurs persuadés de l’Apocalypse prochaine et de la venue du Sauveur.

OCN va poursuivre son exploration du fanatisme religieux en 2018 avec le drama Children of A Lesser God 작은 신의 아이들 où deux enquêteurs tentent de sauver des enfants élevés dans une secte.

Mr Sunshine 미스터 션샤인 est un sageuk (série historique) qui nous plonge dans la Corée du début du XXe siècle occupée par les japonais. On y suit le parcours d’un jeune esclave (nobi 노비/奴婢 selon l’ancien système de caste de l’ère Joseon), de sa jeunesse difficile à l’âge adulte, entre sa fuite vers les USA et son incorporation dans la marine militaire, jusqu’à son retour au pays où il rencontre une jeune aristocrate (yangban 양반/兩班). Il apprend en parallèle l’existence d’un complot visant à annexer la Corée par les forces étrangères.

Le héros est joué par Lee Byung-hun 이병헌, acteur phare du réalisateur Kim Jee Woon, connu pour ses rôles dans le western déjanté The Good, The Bad, The Weird 좋은 놈, 나쁜 놈, 이상한 놈 (2008), le thriller I Saw the Devil 악마를 보았다 (2010), le film de mafieux A Bittersweet Life 달콤한 인생 (2005) ou encore l’action drama IRIS 아이리스 (2009).

Il est secondé par la talentueuse Kim Tae-ri 김태리, mondialement acclamée pour sa prestation dans le drame psychologique Mademoiselle 아가씨 (2016) de Park Chan-wook 박찬욱, une adaptation du sensuel roman de Sarah Waters Du bout des doigts (Fingersmith). Elle s’est aussi distinguée dans le très poétique Little Forest 리틀 포레스트 (2018) de Yim Soon-rye 임순례, adapté du manga japonais éponyme (リトル・フォレスト) de Daisuke Igarashi, où une jeune citadine retrouve son village natal et s’adapte à la vie rurale en suivant le rythme des saisons.

Moi qui aime tout particulièrement les sageuk, j’ai vraiment hâte de m’y plonger. La période de l’occupation japonaise 일제강점기 (1905-1945) est une page sombre de l’histoire coréenne, dont l’évocation reste délicate pour les œuvres télévisuelles. Contrairement à l’ère Joseon qui donne une immense liberté de ton aux scénaristes (humour, fantastique, romance, horreur etc.), cette période douloureuse reste associée à l’oppression d’un peuple qui n’a ni oublié ni pardonné les horreurs du passé.

Le cas des ‘femmes de réconfort’ (慰安婦 ianfu/일본군 위안부), ces victimes forcées à devenir des esclaves sexuelles aux mains de l’armée japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale, est particulièrement sensible et les relations diplomatiques entre les deux pays restent tendues sur le sujet. En 2016 est sorti un film poignant Spirits’ Homecoming 귀향 qui rend hommage à la souffrance de ces jeunes filles sacrifiées.

Je vous conseille aussi le drama The Bridal Mask 각시탈 (2012) adapté du manhwa de Heo Young Man 허영만, où l’acteur Joo Won 주원 interprète un justicier masqué, héro de la résistance, dissimulé sous les traits d’un collaborateur à la solde des japonais. Il offre un bon divertissement, mêlant intrigue romanesque, suspens, drame et action avec talent.

Et vous? Participez-vous à un challenge littéraire cet automne? Connaissez-vous la Corée? Si vous aviez un roman coréen à proposer, lequel choisiriez-vous?

Halloween : La fête aux mille visages

Une rumeur se fait entendre, glissée dans le vol des corbeaux, la lente chute des feuilles et le bruissement de la pluie. Le chant lugubre d’une ombre aux doigts crochus, un rire qui fait naître les pleurs, un appel venu des brumes, celui de Halloween. Cet étrange festival qui dénude les fils de la raison, célèbre, semble-t-il, la noirceur de la Mort sous le couvert sinistre d’une nuit d’automne. Mais qu’en est-il réellement? Tâchons d’en apprendre un peu plus …

à la recherche des origines

D’où vient Halloween, cette fête mystérieuse au passé brumeux ? Selon certains, elle laisserait entrevoir les vestiges de l’ancienne fête romaine de Pomona, déesse des fruits et des graines ; ou encore de Parentalia qui clôturait les Feralia, le festival romain des morts du mois de Février (N.Rogers). De façon plus commune, il est d’usage de puiser ses racines dans d’immémoriaux rituels celtiques, mais les sources restent floues. Nombres de chercheurs, d’historiens ou d’anthropologues, en accord avec la pensée populaire, attribuent à Halloween un lien de parenté avec les célébrations des anciens peuples celtes (Irlande, Écosse, Pays de Galles, Île de Man).

Les premiers folkloristes du XIXe siècles ont attribué aux ancêtres celtes et germains de nombreux usages qui leur étaient pourtant méconnus. Les savants, majoritairement anglais et allemands, élevés dans la foi protestante, considéraient que les fêtes catholiques étaient corrompues par les fêtes païennes (R.Zeebroek). À l’instar de James Frazer (1854-1941), éminent anthropologue écossais et auteur du Rameau d’Or (compilation comparative monumentale des mythologies et religions publiée en 1911-1915), nombreux sont les intellectuels ayant fait de Halloween une survivance de la fête celte de Samhain. Ainsi, selon le folkloriste américain Jack Santino, la fête contemporaine « provient d’une fête des morts celtique antérieure au christianisme. »

Or, les spécialistes de la culture celtiques eux-mêmes contestent cette analogie, insistant sur le manque de sources fiables disponibles sur cette fête préchrétienne (Le Roux et Guyonvarc’h : 1995). Car c’est principalement au travers de poèmes et de ballades composés vers les IIIe et IVe siècles et retranscrits au VIIIe siècle que la fête de Samhain nous est contée.

Samuel Palmer, The Harvest Moon, huile sur toile, 1833, Yale Center for British Art

Samhain la celte

Samhain (samhuinn, samuin, samfuin) serait issu du gaélique samhradh (samh ‘étéet fuin ‘fin‘) et signifierai la ‘fin de l’été’ (J.Butler). Cette fête pastorale clôt le cycle de croissance symbolique de l’année, elle marque la fin des travaux agraires et de la saison militaire. Il s’agit du jour de l’an celte, chez les peuples irlandais, écossais et gallois, célébré le 1er Novembre (R.Zeebroek). Car l’année celtique se divise en deux moitiés : l’hiver gam lié à l’obscurité et au repos, et l’été sam associé à la lumière et à l’activité. Des festivités sont célébrées à chaque solstice (Yule et Litha) et équinoxe (Mabon et Osatara), ainsi qu’aux grandes fêtes Imbolc, Beltaine, Lughnasadh et Samhain. Le tout formant une vaste roue cosmique qui organise la vie quotidienne. L’année commence aux mois sombres de l’hiver et les jours au crépuscule (M.Freeman). Les festivités de Samhain débutent donc la veille, la nuit du 31 Octobre, pour se poursuivre le 1er Novembre (J.Butler).

D’après le calendrier lunaire et solaire gravé sur des plaques de bronze découvert en France à Coligny, chaque mois commence le 6e jour de la nouvelle lune (Pline l’Ancien). Ainsi le 1er du mois se situe au quart de lune, un point du cycle lunaire clairement visible à l’œil nu, rendant le calcul des jours accessibles à tous (H.McKay). Malgré cet avantage, le calendrier celtique sera remplacé par le calendrier julien des Romains avant l’adoption du calendrier grégorien au milieu du XVIIIe siècle.

Pendant la célébration se tenaient de grands banquets organisés par et pour l’aristocratie guerrière. On y servait des boissons fermentées (bière et hydromel), on consommait de la viande (du porc, séché et salé, faisant partie des vivres préparées pour l’hiver), des fruits et des noix (Le Roux et Guyonvarc’h : 1986). Des jeux, danses et joutes accompagnés de musiques et récitals animaient les festivités. Durant cette réunion, les trois classes sociales étaient réunies pour les cérémonies : guerrière, artisanale et sacerdotale (G.Dumézil). Car Samhain est avant tout une célébration communautaire et spirituelle qui préserve la prospérité du clan : la cohésion sociale est renforcée ainsi que la stabilité du pouvoir politique (édification de lois, rendu judiciaire, alliances matrimoniales..). C’est aussi une fête religieuse : les druides rendent hommage aux divinités par des offrandes, des rituels et des sacrifices.

La réunion de Samhain s’étalait donc sur plusieurs jours situés à la jonction entre l’année passée et celle à venir : trois jours avant et trois jours après la date originale, les Tri nox Samoni. Cette période « hors du temps » rendait poreuse la frontière avec l’autre-monde, le Sid ou Sidh, la résidence des Tuatha Dé Danann, le ‘Peuple de la déesse Dana’.

George Henry & Edward Atkinson Hornel, The Druids: Bringing in the Mistletoe, huile sur toile, 1890, Glasgow Museums Resource Centre GMRC

Une porte vers l’autre-monde

Dans la mythologie celtique, le jour où la race des hommes triompha sur la race des dieux marqua la fin de l’ère mythique dédiée au surnaturel. Dès lors, le monde fut divisé en deux et les dieux vaincus mais puissants cohabitèrent avec les humains (M-L. Sjoestedt). La surface terrestre fut allouée aux hommes tandis que le peuple invisible àes sìde se rendit dans l’autre-monde. Ce lieu porte différents noms : Tír na nÓg ‘Terre de la Jeunesse’, Tír Tairngire ‘Terre des Promesses’, Tír fo Thuinn ‘Terre sous les Vagues’, Mag Mell ‘Plaine des Délices’, Emain Ablach ‘L’Île des Pommiers’ ou encore Avalon (S-P. MacLeod). Néanmoins cet autre-monde ne possèdent pas de frontières fixes, toute terra incognita peut appartenir aux divinités (monde par-delà les mers, océans, montagnes et grottes, zones sauvages).

Le Sid est un espace-temps où règne abondance et joie, dédié aux héros militaires et aux sangs royaux. Ses habitants éternellement jeunes et beaux vivent dans des palais de pierres précieuses. Ces divinités, souvent querelleuses, sont familières des conflits et demandent parfois l’aide de héros ou de rois valeureux en échange de l’amour d’une dame-fée (M-L. Sjoestedt). C’est un lieu où le commun des mortels n’a pas sa place. Quiconque y entre perd toute notion du temps, les heures s’y écoulant comme des années sur terre.

Samhain introduit le règne de Cailleach Bheur ou Cailleach Beara, la vieille reine du froid, divinité gaélique ancestrale du climat (P.Dubois). Son nom est issu de l’écossais cailleach ‘la sorcière’, ‘la vieille femme’, ou de l’ancien irlandais caillech ‘la voilée’. Cette personnification de l’hiver est une bâtisseuse de montagnes, elle trône au sommet du Sliabh na Callighe et commande une armée de démons, lutins et autres créatures. C’est elle qui fait pourrir les fruits, défeuiller les arbres et tomber la neige. Afin de s’en protéger, on allume de grands feux afin d’éclairer tout le territoire. C’est une entité double, jumelle de Brighde (Brigit, Brigantia), la belle dame du printemps, déesse-mère de la fécondité, de l’aurore, des arts et de la médecine. Le 1er Février est le jour de La Fheill Brighde, lorsque la Cailleach ramasse son bois afin de faire durer l’hiver (si il fait beau, le froid perdurera). Sainte Brigitte fêtée le 1er Février pourrait être une évangélisation de cette ancienne divinité.

Certains établissent des liens entre la période de Samhain, l’entrée dans l’hiver et son obscurité croissante, avec la mortalité des êtres. Des feux de joie auraient ainsi été allumés afin de guider les esprits vers l’au-delà et de les éloigner des habitations (J.Santino). On aurait aussi rendu hommage aux défunts au travers d’offrandes ritualisées et stylisées, ainsi que par des déguisements (Abrahams et Glassie). Or cette dimension morbide semble être un ajout ultérieure des folkloristes et non une caractéristique initiale de Samhain.

John Duncan, The Riders of the Sidhe, huile sur toile, 1911, MacManus Gallery, Dundee

Une ascendance chrétienne

La filiation de Samhain avec Halloween semble donc être une projection artificielle et les études récentes tendent à questionner le parti-pris de ces origines celtiques. Nombreux sont ceux qui voient en la création chrétienne des fêtes de la Toussaint et des Trépassés un moyen de supplanter la fête païenne, en s’évertuant à faire des divinités des avatars diaboliques, de fausses idoles, des manifestations du Diable, Prince des Menteurs (J.Santino, R.Zeebroek). Et la persistance d’anciens usages semblent leur donner raison. Or Samhain n’accorde que peu de place aux morts tandis que les célébrations chrétiennes sont entièrement dédiées aux défunts. C’est bien dans la tradition chrétienne qu’il faut chercher la vraie nature de Halloween.

Chez les Celtes, la notion de péché n’existe pas ; si l’âme est présente sur terre c’est par une « non-réalisation de l’être », une souffrance qui bloque le voyage vers l’autre-monde (J.Markale). La pensée celtique accepte la présence de ces entités surnaturelles et les incorpore dans sa cosmogonie. Mais pour les chrétiens, la présence d’esprits durant une fête religieuse ne devrait pas survenir. Les morts vont soit au paradis soit en enfer, leurs âmes ne peuvent revenir sur terre, sauf permission divine exceptionnelle (Schmitt : 1994). La notion du Purgatoire pallie à cette incohérence : il s’agit d’une zone frontière où les âmes sont purifiées avant d’être admises au royaume de Dieu. On y expie les péchés mineurs durant une durée plus ou moins longue. L’apparition de revenants est donc nécessairement diabolique pour les catholiques.

Les fêtes catholiques jumelles de la Toussaint et des Trépassés sont donc le fruit d’une longue réflexion sur la conception de l’au-delà chrétien (R.Zeebroek). Les congrégations monastiques tenaient une liste des frères décédés et l’on célébrait des messes pour le repos des défunts (Le Goff : 1981). C’est au VIIIe siècle que le pape Grégoire IV instaure la fête de la Toussaint ‘Jour de Tout les Saints’, le 1er Novembre, initialement simple fête locale romaine du 13 Mai. Puis vers 1030, Odilon de Cluny propose la fête des Trépassés du 2 Novembre, All Soul’s Day ‘Jour de Toutes les Âmes’. Le 31 Octobre est donc devenu la Veille de la Toussaint, the Eve of All Saints, the Eve of All Hallows (hallows ‘relique’, ‘sanctifier’), Hallow Even, avant d’être nommé Hallowe’en.

Emile Friant, La Toussaint, huile sur toile, 1888, Musée des Beaux-Arts de Nancy

La période de début Novembre marquait le début de l’année liturgique pour les milieux ecclésiastiques et monastiques. Elle correspondait au début de l’Avent, période préparatoire à la Nativité, qui débutait au Ve siècle à la Saint Martin du 11 Novembre. Le peuple, lui, se fiait à l’usage romain du 1er Janvier. Le 1er Novembre annonçait donc l’entrée dans l’hiver mais aussi le début de la période de Noël (Chambers : 1864). Il débutait aussi la saison des saintes Eve, le triduum comprenant Halloween, Toussaint, Trépassés, journée de la prière pour l’Église persécutée, dimanche du Souvenir. Les mois de Novembre et Décembre marquent aussi la saison des masques et des personnifications (R.Zeebroek).

Les chrétiens accordent une grande importance aux célébrations liées aux morts. On observe par exemple la présence au Mexique et certains pays d’Amérique Latine de confession catholique d’une fête des morts, El Día de los Muertos, Todos Santos, Día de los Difuntos ou Fieles Difuntos (‘Jour des Défunts’ ou ‘Fidèle Parti’), Día de las Animas Benditas (‘Jour des Âmes Bénies’). Le 31 Octobre marque le jour des enfants morts angelitos tandis que le 1er Novembre célèbre celui des adultes décédés. C’est l’occasion d’une grande célébration colorée et festive, qui mêle gastronomie et jeux traditionnels. Les familles se rendent sur les tombes de leurs parents, les décorent avec des œillets d’Inde cempasúchil, y rendent un service religieux puis y dînent. On nourrit les défunts de multiples douceurs : pain de mort pan de muerto, tête de mort en sucre calaveras de alfeñique, fruits, courges confites calabaza en tacha… La particularité de cette fête est la coexistence de deux aspects : le solennel et le ludique à travers l’incorporation intime des morts dans le monde des vivants (O.Paz).

Dans la Russie orthodoxe, on commémore les défunts lors de Pâques au cours du ‘Jour de la Joie’ Радоница ; en Ukraine cette tradition est nommée Provody Проводи. La Pologne elle aussi honore ses morts pour Wszystkich Świętych qui a lieu le 1er Novembre. Les protestants du nord de l’Allemagne et des Pays-Bas commémorent les disparus pendant le ‘dimanche des morts’ Totensonntag ou ‘dimanche de l’éternité’ Ewigkeitssonntag, entre le 20 et le 26 Novembre. Il existe une grande variété de fêtes et rituels dédiés aux défunts à travers le globe : O-bon japonais お盆, Zhongyuanjie chinois 中元節, Pitri Paksha hindou पितृ पक्ष, Jeudi des morts arabe خميس الأموات … mais tous les citer serait une gageure.

Joža Uprka, All Souls’ Day, huile sur toile, 1897, National Gallery Prague

Halloween dans les îles britanniques

Les premières mention de Halloween apparaissent au XVIIIe siècle, bien que des usages particuliers ultérieurs soient attestés depuis le XVIIe siècle (Rogers : 2002). Halloween est donc une fête chrétienne, issue du calendrier liturgique. C’est pourquoi, après la réforme protestante du XVIe siècle, toutes ces coutumes catholiques ont été expulsées des églises et transférées dans la sphère privée engendrant l’émergence d’une fête individualisée (R.Zeebroek). Les usages magiques chrétiens assurant la fécondité sont devenus des rites amusants sans valeur religieuse utilisés lors d’une nuit festive destinée à la bonne chère et à la drague (Rogers : 2002).

C’est dans les îles anglo-irlandaises que l’on retrouve la présence de cette fête régionale. Ainsi, la nuit de Halloween est nommée Nutcrack Night ‘Nuit des Noix’ dans le nord de l’Angleterre et en Écosse. En Irlande, c’est Apple Night ‘la Nuit de la Pomme’. Durant ces veillées, il est coutume de consommer les fruits sous forme de jeux divinatoires. On tente d’attraper les pommes avec les dents dans une bassine pleine d’eau (Apple bobbing, Apple Ducking, Snap Apple), symbolisant la vie qui s’échappe des ténèbres. On place aussi les coquilles de noix mangées dans le foyer, en leur donnant le nom d’une personne célibataire. De leur calcination, on interprétait des pronostics amoureux (Brand). Car Halloween est aussi un festival du feu : on érige des feux de joie dans le Perthshire écossais et dans le Lancashire gallois, tandis que les irlandais fabriquent des chandelles artisanales. Ces pratiques rituelles, que l’on retrouve aussi sur le continent, sont associées à l’Avent (Van Gennep).

Daniel Maclise, Snap-apple Night or All-Hallow Eve, huile sur toile, 1833, London’s Royal Academy of Arts

En Angleterre est alors apparue la célébration du 5 Novembre, le Guy Fawkes Day / Nigh (Bonfire Night, Fireworks Night). Guy Fawkes (1570-1606) était un militaire catholique anglais qui fut accusé de haute trahison envers la couronne britannique. Avec d’autres conjurés, dont Sir Robert Catesby, ces révoltés ont planifié la Conspiration des poudres (Gunpowder Treason Plot) à l’encontre du roi protestant Jacques Ier d’Angleterre, visant à faire sauter la Chambre des Lords du Parlement Anglais, le 5 Novembre 1605. Il s’agissait d’un complot visant à établir sur le trône la jeune princesse catholique Élisabeth Stuart (1596-1662). Or la tentative d’attentat fut avortée et Guy Fawkes, chargé des explosifs, fut appréhendé, torturé et condamné à être pendu, traîné, puis écartelé (hanged, drawn and quartered). Le jour de l’exécution, le 31 janvier 1606, il sauta de l’échafaud et se brisa le cou pour échapper à l’ignominie de la pendaison.

La date du 5 Novembre devint une commémoration annuelle, similaire à celle de Halloween, au cours de laquelle les enfants réalisent des effigies du complotiste, the Guy, ou des mannequins de chiffon symbolisant les malheurs ou les personnalités détestées. Ils s’amusent alors à frapper aux portes et demandent une petite pièce « a penny for the guy ». On brûle ensuite les pantins dans des feux de joie et on tire des feux d’artifice. Au XXe siècle on préparait un soulmass cake composé d’avoine et de mélasse (T.Teluja). La Veille du 5 Novembre fut quant à elle surnommée la « Nuit des Méfaits » Mischief Night car les jeunes s’amusaient à jouer des tours à leurs aînés.

Après le rattachement de l’Écosse à l’Angleterre en 1707, Halloween est devenue une fête identitaire écossaise, là où les anglais avaient le Guy Fawkes Day. Cette dimension identitaire a persisté lors de l’exode massif dès 1717 des nord-irlandais Scotch-Irish aux États-Unis. Après 1855, Halloween est devenue une « célébration ethnique » pour les classes supérieures écossaises et irlandaises de la Nouvelle-Angleterre (Bannatyne : 1990).

Paul Sandby, Festivities in Windsor Castle during Guy Fawkes night, gravure, sept 1776, The British Library

Halloween aux États-Unis

Halloween dans les États-Unis des années 1870 n’est encore qu’une célébration mineure, mêlant divination et facéties, fêtée par une communauté d’immigrés gaéliques qui expriment ainsi leur identité. Mais les mutations induites par la migration vers les villes vont lui apporter une nouvelle dimension.

Car la fête s’urbanise au cours des années 1880 au travers des parades de jeunes ruraux et immigrants issus des communautés noires et ouvrières. S’y ajoutent les étudiants canadiens et américains costumés des universités. Ce nouveau rite est un moyen pour les minorités éloignées de l’élite sociale d’extérioriser leurs inquiétudes par l’« expression dramatisée d’un conflit » (B. Babcock & V. Turner). Durant une nuit où les règles et les statuts s’inversent, où le désordre semble toléré, la jeunesse exprime son désir de changement et d’autonomie (Rogers : 2002).

Cette déchirure dans l’ordinaire n’est guère appréciée par la société dominante, composée des classes moyennes anglo-saxonnes protestantes, farouchement opposées aux fêtes catholiques (ce qui a conduit à la création de Thanksgiving). Mais le caractère magique et ethnique de Halloween facilite sa perception comme une fête purement séculière (R.Zeebroek). Elle s’étoffe et se nourrit de ce passé païen si attrayant. On y puise d’anciennes activités décrites dans les œuvres du poète écossais Robert Burns et les récits de folkloristes britanniques (Adrien Lherm : 1998).

Mais l’intrusion d’une jeunesse facétieuse aux comportements déviants au cours d’une Nuit des Méfaits se heurte au soucis de contrôle de la société (D.Barclay). La fête commence à générer de la méfiance vers les années 1920-30 (Abrahams & Bauman). Afin d’apprivoiser cet étrange festival, on le normalise. Pour éviter les débordements qui naissent dans la rue, Halloween se déplace dans le foyer domestique au travers de pièces qui cherchent à inculquer des valeurs et des codes de bonne conduite aux plus jeunes. Halloween est alors réemployée pour valoriser et affirmer l’identité américaine de par ses origines dites « anglo-saxonnes » (Adrien Lherm : 1998).

Les excès de la nuit des méfaits se sont fait plus violents après la Première Guerre Mondiale, une tendance renforcée avec la Grande Dépression des années trente (C.Ainsworth ; R.Zeebroek). C’est dans ce contexte que l’expression « trick or treat«  apparaît pour la première fois dans une nouvelle parue en 1939, avant d’être massivement utilisées dans les années 50 (Rogers : 2002). La pratique serait née aux USA après la Grande Famine comme une « sollicitation rituelle masquée » (Thomas Vennum). Il est ainsi devenu d’usage pour les maîtresses de maison d’amadouer la jeunesse avec de la nourriture afin d’échapper à ses mauvaises blagues. Les jeunes se déguisent alors en personnages antisociaux : mendiant ou vagabond hobo pour les garçon et bohémienne pour les filles (Teluja : 1994).

Leopold Till, Children collecting fruit at the door, huile sur toile, fin XIXe, coll. privée

Afin de lutter contre le vandalisme, le gouvernement local et les commerçants organisent des carnavals et des foires au sein des villes dès les années 30. Halloween acquière une dimension festive avec des jeux et concours qui renforcent l’unité sociale ; le tout mis en place pendant les vacances scolaires (P.Aries). Mais la Nuit des Méfaits et les raggamuffins (‘sacripants’) disparaissent après la Seconde Guerre mondiale, de même que les parades et autres activités urbaines au nom de l’effort de guerre. Halloween se réinstalle dans les foyers au cours de soirées privées. C’est avec la prospérité économique des Trente Glorieuses (1950-60-70) que Halloween connaît un nouvel âge d’or.

Trick or Treat, le Rituel du Mendiant

L’un des rites les plus caractéristiques de Halloween est la chasse aux bonbons, le fameux trick or treat. Il est issu d’une très longue lignée de rituels de sollicitation masqués que l’on retrouve dans la plupart des pays d’Europe. Généralement, les enfants se griment et se masquent afin de prendre symboliquement l’apparence des morts. Par un procédé de transfert, les défunts rappellent aux vivants leur devoir de mémoire envers les disparus. La personnification aux entités surnaturelles peut aussi agir comme un charme de bonne fortune et de protection.

La période de Pâques, qui annonce l’arrivée du printemps, relève aussi d’une signification particulière. Pour les pays nordiques, c’est le retour de la lumière qui met fin à une longue nuit de plusieurs mois. En Finlande, on célèbre Virvonta ou virpominen, la tradition des sorcières de Pâques du dimanche des Rameaux, qui éloigne les mauvais esprits de l’hiver. Le Jeudi Saint, les enfants suédois sont grimés en monstres, tout comme les petits danois le Lundi Gras, et demandent des friandises. En Norvège, la pratique se nomme knask eller genou. Dans certaines régions d’Allemagne se déroule la Nuit de Walpurgis, Walpurgisnacht, la Veille de Mai, le 30 Avril. Lors de cette nuit de veille du Jour de Sainte Walpurgis, les forces démoniaques se révèlent, les sorcières et les esprits des morts se montrent bien plus agressifs.

William Stewart MacGeorge, Hallowe’en, huile sur toile, v.1911, Royal Scottish Academy of Art & Architecture

Un autre rite emblématique de Halloween est la confection de lanternes pour faire la quête au crépuscule. On utilise pour cela des plantes potagères de saison faciles à évider comme des navets ou des courges dans lesquelles on glisse une bougie. Ces lampes improvisées font apparaitre des visages grimaçants qui symbolisent les âmes piégées dans le Purgatoire (J.Santino). La lumière des lampions fait écho au feu follet Will-o’-the-wisp, ces flammes fantomatiques que l’on aperçoit parfois dans les marais et les cimetières.

La légende originelle la plus connue est celle de l’irlandais Jack O’Lantern ou Stingy Jack un homme impénitent, buveur et joueur, qui réussit à duper le diable en le piégeant dans un pommier enchanté. En échange de sa libération, le diable lui permit de pêcher à volonté. Mais à sa mort, un 31 Octobre, l’âme de Jack se vit interdire toutes les entrées ; ni Enfer, ni Paradis ne voulaient de lui. Le Malin lui offrit un tison que Jack enferma dans un navet creux afin d’en faire une lanterne pour le guider dans la nuit éternelle. Depuis, son âme prisonnière du néant ère et égare les malheureux (P.Dubois).

La création de lampions n’est pas toujours liée à Halloween, elle semble être une tradition populaire partagée en Europe. En Lorraine existe la fête de Rommelbootzennaat, la nuit des betteraves grimaçantes. Le jour de la Saint Martin (11 Novembre), les petits allemands et danois chantent des chansons et transportent des lanternes de betterave ou de papier pour Rummelppott. En Autriche, Suisse et certaines régions allemandes, on sculpte des visages dans des navets pour Rübengeistern. Au Portugal, les enfants visitent les maisons avec des lanternes sculptées dans des citrouilles coca. Avec les Irlandais, la tradition a voyagé jusqu’en Amérique, où les gens ont utilisé un ingrédient facile d’accès : la citrouille.

Edward Docker, Making Lanterns, huile sur toile, v.1880-99, coll. privée

Dans l’Europe médiévale, le jour des Trépassés du 2 novembre, les mendiants demandaient l’aumône comme payement pour les prières qu’ils avaient promis de faire pour les fidèles décédés. Dans une variante anglaise, ils quémandent un gâteau d’âme (soul cake) préparé pour l’occasion. Il s’agit d’un gâteau rond aux épices douces avec une croix tracée sur le dessus au couteau ou avec des fruits secs, que l’on retrouve aussi au Portugal sous le nom de Pão-por-Deus, ou aux Philippines comme Pangangaluwa. Le Rituel du Mendiant reprise par les non indigents et les enfants implique la récitation d’une chanson ou sollicitation émouvante demandant « miséricorde sur toutes les âmes chrétiennes pour un gâteau d’âme. » Car lors de ce repas fantomatique, à chaque gâteau consommé, une âme est délivrée des tourments du Purgatoire (T.Tuleja).

La pratique de la quête, transmise par les immigrants gaéliques, s’est popularisé aux États-Unis. Il existe cependant certaines différences en fonctions des territoires (M.Mead). La chasse costumées aux bonbons reste l’apanage des villes, avec tout les excès qui l’accompagne (Santino : 1986), tandis que dans les campagnes nord-américaines, on lui préfère les farces pranks. Dans les zones rurales, ces farces prennent une dimension particulière. Dans les villages, les victimes connaissent leurs assaillants et réciproquement. La plaisanterie se tourne vers les objets du quotidien, et plus particulièrement les engins agricoles. Les jeunes s’amusent ainsi à déplacer des machines de ferme ou les véhicules jusque dans les arbres ou le toit des bâtiments. Car dans les mœurs de certains ruraux, l’idée d’une ‘Nuit du Mendiant’ (Beggar’s Night) est négativement associée à une démarche embarrassante et inappropriée (S.Siporin). Il est humiliant de frapper aux portes pour quémander quelque chose.

Dans les zones urbaines, l’utilisation de costumes et de masques permet de rendre ce comportement socialement acceptable (S.Siporin). On se déguise en un autre non reconnaissable au cours d’une nuit où le désordre est autorisé. Il est alors d’usage de venir à la porte pour réclamer une offrande. La formule traditionnelle trick or treat laisse ainsi le choix : des bonbons ou un sort. En cas de refus, mais souvent sans motif valable, les jeunes font des farces : les fenêtres sont couvertes de savon, on jette des œufs sur les voitures et les boîtes aux lettres, les maisons et les arbres sont recouverts de papier toilette (teepeeing).

La fête de la peur

La coutume du déguisement est très ancienne mais c’est notamment au cours des années 30 que l’iconographie de Halloween s’enracine : dans un climat social tendu, les costumes dramatisent les peurs inconscientes et prennent donc la forme d’entités surnaturelles ancestrales hors-la-loi (fantômes, sorcières, gobelins). Après 1940, ce sont les indiens et cow-boys (peut-être issus des westerns en vogue), les fées, gitanes ou clowns qui sont à l’honneur. Durant la Grande Dépression, les déguisements imitent les parias sociaux et économiques (T.Teluja). Au cours des années 70-80, les costumes se font plus variés et s’inspirent de la pop culture (personnages Disney, extraterrestres E.T, créatures du Madison Avenue..). Le déguisement devient un moyen d’affirmation de soi, un choix de caractère positif ou son contraire, selon la vision que l’on veut renvoyer aux autres.

Photographie d’un groupe en costume d’Halloween, c.1898, lieu inconnu, coll. privée

À la fin des années 70, le film d’horreur devient le genre cinématographique dominant pour Halloween avec des franchises devenues cultes : Massacre à la tronçonneuse (The Texas Chain Saw Massacre) de Tobe Hooper sorti en 1974, Halloween : la Nuit des masques de John Carpenter en 1978, Vendredi 13 (Friday the 13th) de Sean S. Cunningham en 1980, ou encore Les Griffes de la nuit (A Nightmare on Elm Street) de Wes Craven en 1984. Le cinéma diffuse des slashers peuplés de tueurs psychopathes assoiffés de sang dont les figures de cauchemars hantent les rues à chaque Halloween : les fêtards prennent l’apparence des terribles Jason Voorhees, Freddy Krueger et autres Michael Myers (Rockoff ; Rogers).

C’est donc pendant les années 80, que Halloween se revêt d’une dimension horrifique, avant de se réimplanter en Europe autour de 1990, favorisé par la vague du New Age et le renouveau de l’intérêt pour le surnaturel (création du Wicca). Les entrepreneurs s’empressent d’organiser des festivals celtiques et de commercialiser des marchandises en lien avec la fête et le surnaturel. Les origines païennes présumées de Halloween s’ancrent définitivement dans la conscience populaire. Son récit d’origine mythique loin des racines chrétiennes permet de décontextualiser la fête et de la rendre universelle (R.Zeebroek).

D’une façon ironique, Halloween transcende si bien ses propre origines qu’elle est maintenant liée au monde démoniaque. Les chrétiens évangélistes américains dénoncent le satanisme et la glorification du mal que ce festival engendre, perçu comme l’un des quatre sabbats noirs au cours desquels les sorcières invoquent le démon (Rogers). La fête de Halloween, associée de fait avec la Toussaint et la fête des Trépassés, est teintée d’une connotation macabre. Elle est liée aux entités morbides de l’au-delà (fantômes, squelettes humains) mais aussi diaboliques (démons, sorcières, vampires).

C’est aussi un moyen, en cette saison froide qui annonce le glacial hiver et sa cohorte de souffrances, d’apprivoiser la peur que génère l’inconnu, le dissemblable, l’inattendu. Le terrible frimât hivernal qui dans l’imaginaire collectif fut longtemps associé à des divinités lugubres et néfastes (P.Dubois). Car Halloween est la fête de la dernière récolte, celle du seuil de l’hiver. Peut-être par effet de contre-pouvoir, Halloween et ses sœurs jouent le rôle d’un bouclier : par la farce, nous rions des morts, les rendons familiers. La conscience de notre propre finitude nous semble alors moins terrible. Un jour pour rire avec les défunts suivit d’un autre pour les pleurer.

Arthur Rackham, The Witches’ Sabbath for Washington Irving’s The Legend of Sleepy Hollow, 1928

Rumeur terrifiante 1 : Des Rasoirs dans les pommes

Halloween est désormais une fête liée à la peur. En premier lieu, volontaire. On aime frissonner entre amis devant des films gores, on se déguise en monstre, on visite des lieux hantés… Mais il y a aussi une peur tacite, une angoisse sourde qui ne dit pas son nom. De part sa réputation mythifiée d’ancien culte païen, Halloween semble venir du font des âges, une époque de magie et de paganisme fantasmé. C’est une nuit singulière où les entités les plus sombres voguent librement sur Terre.

Après avoir été largement adoptée aux États-Unis, la fête populaire des jeunes enfants s’est retrouvée entachée d’une sombre réputation. Au cours des années 60, d’étranges et inquiétantes rumeurs liées à Halloween ont commencé à se répandre. Des histoires où des adultes dérangés, en lieu et place de goules et autres fantômes, menaçaient la sécurité des enfants. Elles ont finit par prendre suffisamment d’ampleur pour affecter la pratique du trick or treat dès les années 70, avant de connaître une apogée à partir de 1980 (T.Teluja ; Bill Ellis).

La première rumeur fut celle des « Lames de rasoirs dans les pommes » (The Razor Blades in the Apples). Les origines restent floues mais trois affaires peuvent néanmoins être attestées. La première eu lieu au cours de Halloween 1964 à Greenlaw, New York. Une femme au foyer, lassée de voir frapper à sa porte des adolescents qu’elle jugeait trop vieux pour réclamer des sucreries, fut appréhendée par la police après avoir distribué des paquets contenant des biscuits pour chien, des pastilles anti-fourmis à l’arsenic ou des tampons en laine d’acier. Bien que les jeunes aient été prévenus de la présence des friandises piégées, le cas fut pris très au sérieux par les autorités (Bill Ellis).

La légende, alimentée par la peur et la diffusion orale pris de l’ampleur et se modifia en 1967. Sur la côte Est et le Canada, on se mit à parler d’objets tranchants dissimulés dans les pommes, après la publication de quelques cas dans le New York Times. En 1970, un éminent docteur du New York Health Commisioner rédigea des messages de prudence aux parents dans son bulletin annuel, les mettant en garde contre les sadiques pleins de ressentiments envers la société qui se vengeaient sur leurs enfants (Bill Ellis).

La deuxième affaire sembla confirmer ces craintes : le 2 novembre 1970, Kevin Toston, 5 ans, fut retrouvé mort après avoir fait une overdose d’héroïne. La drogue était contenue dans ses bonbons. L’enquête identifia rapidement le meurtrier, il s’agissait en réalité de son oncle. Quant à la troisième affaire, elle eu lieu en 1974 après la mort du jeune Timothy Mark O’Nryan, 8 ans, par ingestion de cyanide. Là encore, la police détermina la culpabilité de l’assassin, le propre père de l’enfant qui avait empoisonné les sucreries pour récolter l’argent de l’assurance. Dans les deux cas, les suspects, membres de la famille proche, s’étaient inspirés des rumeurs sur de mystérieux croque-mitaines de Halloween afin de commettre leurs crimes et de détourner les soupçons (Bill Ellis). Ironiquement, ces faits-divers poussèrent dès lors les parents à vérifier les friandises de leurs enfants lors des tournées de trick or treat.

Witches Brew (Potion de Sorcières), Carte postale, v.1900

Rumeur terrifiante 2 : Les Sacrifices Sataniques

La seconde rumeur est celle des « Sacrifices sataniques d’enfants » (The Satanic Child Sacrifice). Apparue au milieu des années 70 aux États-Unis, les ouï-dire à propos de cérémonies rituelles visant à offrir des âmes innocentes à Satan lors de la nuit de Halloween se diffusèrent de façon exponentielle avant de devenir une véritable panique nationale entre 1987-88 (Bill Ellis).

Tout commença en 1973-74 avec les morts suspectes de bétails mutilés qui laissaient supposer l’existence de rituels occultes. Ces incidents alimentèrent les inquiétudes dans le Midwest puis dans les Rocheuses avant de connaître une apogée au printemps 1974 avec le meurtre de la femme et du fils d’un prédicateur baptiste à Missoula, dans le Montana. Une intense panique à éclatée dans la population nourrissant toutes les spéculations. Durant le Halloween 1975, les responsables de la ville de Driggs, Idao, ont mis en garde les habitants sur la présence de silhouettes encapuchonnées qui se rassemblaient dans les zones touchées par les mutilations de bétail (Bill Ellis).

Si la célébration de Halloween persiste, la prévention est de mise. En 1988-89, les églises diffusent des avertissements aux familles, sans pour autant lutter contre l’existence des chasses au bonbons, décorations et déguisements incluant des symboles occultes. De nouvelles formes de célébration sont apparues (soirées privées ou spectacles). Le rituel du trick or treat évolue à son tour : dans les années 50, les enfants étaient invités à entrer dans l’espace domestique, où la maîtresse de maison devait deviner leurs noms ; après la révélation d’identité, on leur servait du cidre et des pâtisseries (B.Sutton-Smith). Ce rite d’incorporation a disparu depuis, remplacé par un rite d’isolation et d’anonymat où les enfants doivent attendre sur le porche, un espace liminaire, que l’hôte leur propose des bonbons (T.Teluja).

La diffusion de mises en garde (maquillage plutôt que masques, lampe torche, éviter les inconnus, vérifier les friandises) et l’adoption de certains comportements (s’éloigner des zones dangereuses, non éclairées ou peu familières), attestent de cette peur implicite que les enfants intègrent : Si tu ne respecte pas les règles, tu seras enlevé et tué. Ainsi la distribution des safety list, la décoration et la commercialisation des gourmandises et autres goodies annoncent maintenant la saison automnale.

Safety List du Département des Services de Santé d’Arizona pour Halloween 2018

Évolutions contemporaines

Aujourd’hui Halloween n’est plus le domaine exclusif des enfants, c’est une fête universelle, très plébiscitée par les 18-34 ans (en 1995, 80% des costumes loués était destinés à des adultes) (J.Santino). Car cette fête sert avant tout les adultes, c’est un moyen de contrôler l’Autre au travers d’un espace dédié aux enfants et au jeu. Un désordre subversif autorisé pendant un laps de temps donné qui permet d’évacuer certaines tensions refoulées.

Paradoxalement, le festival se voit aussi approprier par des catégories sociales marginales (bohème, homosexuels, groupes sorciers Wiccans) qui revendiquent leur existence; la fête devient le champ de bataille des images de soi au sein d’une société hybride aux évolutions constantes (T.Teluja). À ce titre, la Zombie Walk (‘Marche des zombies’), qui a lieu au cours du mois d’Octobre dans de nombreuses villes depuis 2005, est un exemple de manifestation publique festive qui met en valeur les monstres de l’époque contemporaine.

Car Halloween permet de mettre en évidence les conflits sociaux. Nombreux sont ceux qui tentent d’ironiser via leur choix de déguisement afin de dénoncer de façon détournée certains sujets ou personnalités qu’ils abhorrent. La pratique du trick or treat est elle aussi source de tensions, outre les demandes d’adolescents qui s’attardent sur leur droits aux bonbons, certaines personnes se plaignent de la présence d’outsiders, des enfants non issus de leur classe sociale. Ainsi quelques privilégiés, issus des 1% des plus riches, contestent et déplorent le phénomène d’invasions de jeunes pauvres venus quémander des friandises dans leurs quartiers résidentiels.

Malgré son apparence joyeuse, Halloween possède de nombreux traits négatifs. La surconsommation inhérente à notre société capitaliste fait exploser la vente d’accessoires et de sucreries ce qui engendre chaque année une véritable catastrophe écologique due à la pollution plastique des multiples objets jetables. Car la surenchère mercantile pousse les industriels à toujours plus d’inventivité. En particulier dans le business des déguisements, y compris chez les propriétaires d’animaux domestiques. Halloween est un atout stratégique pour les commerçants durant la période creuse de l’automne. En Europe, Halloween est perçue comme un mauvais exemple de l’américanisation massive des fêtes.

Halloween est toujours source de peur et certains jouent de cette sinistre réputation. Comme en atteste les affaires des clowns agressifs dans certaines villes françaises en 2014, ou encore les violences urbaines de 2018 ; la Nuit des Méfaits sert parfois de prétexte à la libération de l’agressivité dans un climat social toujours plus tendu.

Le Halloween contemporain est donc le fruit de ces ambivalences, une fête qui se redessine selon son contexte et les besoins ou angoisses de la société. Ce festival polycéphale qui présente le visage angélique de l’enfance, le masque mystérieux des croyances anciennes, les traits hideux du diable … ou le sourire d’une citrouille en sucre.

SOURCES :
  • Dubois, Pierre. L’Elfemeride : Le grand légendaire des saisons Automne – Hiver, Hoëbeke, 2013
  • Freeman, Mara. Vivre la tradition celtique au fil des saisons, Éditions Véga, 2014
  • Guyonvarc’h, Christian-J. ; Le Roux, Françoise. Les Fêtes celtiques, Editions Yoran Embanner, 2015
  • Lherm, Adrien. « Les enjeux sociaux du rite : l’exemple de la fête d’Halloween », Hypothèses, vol. 1, no. 1, 1998, pp. 23-30.
  • MacLeod, Sharon Paice. Celtic Myth and Religion, A Study of Traditional Belief, with Newly Translated Parayers, Poems and Songs, McFarland & Company, Jefferson, North Carilina, and London, 2002.
  • Malcolm, Foley and O’Donnell, Hugh & Collectif. Treat or Trick ? Halloween in a Globalising World, Cambridge Scholars Publishing, Newcastle, UK, 2009
  • Markale, Jean. Halloween, histoire et traditions, Éditions Imago, Paris,
  • McKay, Helen T. « The Coligny calendar as a Metonic lunar calendar », In: Etudes Celtiques, vol. 42, 2016. pp. 95-121.
  • Rogers, Nicolas. Halloween From Pagan Ritual to Party Night, Oxford University Press, 2002
  • Santino, Jack & Collectif. Halloween and Other Festivals of Death and Life, The University of Tennessee Press, Knoxville, USA, 1994
  • Sjoestedt, Marie-Louise. Celtic Gods and Heroes, Dover Publications, Mineola, New York, 2000
  • Sterckx, Claude. Mythologie du monde celte, Marabout, 2014
  • Zeebroek, Renaud. « Persistance ou transformation ? La trajectoire d’une fête », Ethnologie française, vol. vol. 36, no. 2, 2006, pp. 321-331.

Cinéma et séries coréennes pour l’Automne

La Corée du Sud est un pays que j’associe toujours à l’automne gaeul 가을. Peut-être à cause de ses forêts d’érables, de pins et de ginkgos qui offrent des paysages de feu, ses champs d’eulalie ou herbe argentée eogsae 억새 bruissant sous le soleil, ses coffee shop cozy à l’esthétique épurée qui foisonnent à Séoul, la beauté atypique de son architecture entre hanok traditionnels et constructions de briques un peu anarchiques. L’ambiance idéale pour les amoureux de la saison brune, qui est d’ailleurs considérée comme la plus agréable par les coréens (grands amateurs de randonnée) qui possèdent même un terme spécifique : le danpung-gil 단풍길, ‘chemin d’automne’.

C’est aussi la saison de Chuseok 추석, la très importante fête des moissons, qui a lieu le quinzième jour du huitième mois lunaire. L’occasion pour les familles de se rassembler afin de rendre hommage aux ancêtres et de célébrer les dons que la nature leur offre. La Corée est une nation d’agriculteurs, les gens sont profondément attachés à la terre, très généreuse durant la saison automnale. Il existe un proverbe qui personnifie cette abondance :  »Cheongomabi » 천고마비,  »Le ciel est haut et les chevaux sont gras », issu du chinois 天高馬肥 tiān gāo mǎ féi. Pour ce peuple qui a tant souffert de la faim et des privations, le culte du sol est primordial. Ainsi, la mélancolie coréenne issue du Han 한, ce sentiment de regret insondable qui étreint leur âme, résonne aussi avec la douceur nostalgique de l’automne.

J’avais envie de vous proposer une petite liste de films et de séries issus du pays du ‘Matin frais’ 朝鮮. Bien sûr, tous ne prennent pas place en automne mais ils ont un je-ne-sais-quoi qui me fait toujours penser à cette saison. Au programme des œuvres adeptes du mélange des genres comme savent si bien le faire les cinéastes coréens et des séries que j’aime regarder avec une boisson chaude à la main…

Films

The Sound of a Flower (Dorihwaga 도리화가) de Lee Jong Pil, sorti en 2015, nous conte l’histoire vraie de Jin Chae Seon, la première chanteuse de pansori de l’ère Joseon (1392-1897). Passionnée par le chant, elle se déguise en homme au péril de sa vie, bravant l’interdit qui pèse sur les femmes, et accède à la fonction de chanteur à la cour royale. Le Pansori 판소리, trésor national immatériel, est l’opéra traditionnel coréen qui se compose d’un chanteur et d’un joueur de tambour buk. La performance, pouvant durer plusieurs heures, se compose d’un récital de madang, des histoires contées. Le film jouit d’une photographie magnifique, et bien que l’on puisse regretter la prestation vocale de l’actrice principale, loin des performances exigées en pansori, il reste un bon moyen de découvrir cet art si méconnu. Pour les amateurs du genre, La Chanteuse de pansori (Seopyeonje 서편제) de 1993 réalisé par le grand Im Kwon Taek, ainsi que sa suite non-officielle de 2000, Le Chant de la fidèle Chunhyang (Chunhyangga 춘향가), sont des classiques.

A Werewolf Boy (Neukdae Sonyeon 늑대소년) de Jo Sung Hee sorti en 2012. Une jolie romance surnaturelle entre une jeune fille asthmatique – jouée par l’adorable Park Bo Yong – et un mystérieux garçon-loup – interprété par le populaire Song Joong Ki. Grand succès au box office coréen, cette réécriture de la Belle et la Bête évite les clichés mièvres du genre et dépeint la relation toute simple entre deux adolescents aussi timides et fragiles l’un que l’autre, ainsi que la difficile lutte contre les préjugés et la méchanceté humaine.

Rabbit and Lizard (Tokkiwa Rijeodeu 토끼와 리저드) est un road movie de Ju Ji Hong datant de 2009. May, une jeune coréenne adoptée qui recherche ses origines fait la rencontre d’un chauffeur de taxi malade du cœur. Tout deux en poursuite de quelque chose, ils partagent leurs épopées. C’est un petit film sans prétention, au rythme lent et mélancolique qui ne plaira pas à tout le monde. Les coréens sont les spécialistes du mélodrame, incarnation du han. On ne compte plus le nombre de romances tragiques tire-larmes qui mettent en scène des amours impossibles à coup de maladies incurables, d’accidents, de séparations ou autre… Le champion toutes catégories est bien sûr Winter Sonata (Gyeoul yeonga 겨울연가) de 2002, the drama coréen devenu phénomène culturel en Asie. Son succès, notamment au Japon, a propulsé le tourisme dans les régions où se déroulait le tournage; et la popularité de son acteur principal, Bae Yong-jun, déchaîna des foules de fans lors de sa visite sur le sol nippon.

Memories of Murder (Sarinui Chueok 살인의 추억) est un thriller policier grotesque datant de 2003, réalisé par le génial Bong Joon Oh (The Host, Parasite, Okja). Inspiré d’une sordide affaire criminelle : celle du tueur en série de Hwaseong qui a bouleversé le pays entre 1986 et 1991. Une dizaine de femmes retrouvées violées et assassinées dans la province rurale du Gyunngi-do. Malgré des efforts colossaux mis en oeuvre et des milliers de suspects interrogés, l’affaire restera irrésolue. Il faudra attendre 2019 pour que les avancées techniques de la police scientifique permettent enfin de confondre le meurtrier. Bong Joon Oh n’hésite pas à retranscrire la brutalité et l’incapacité de la police locale au cours d’une enquête qui tourne parfois à la farce.

A Tale of Two Sisters (Janghwa, Hongryeon 장화, 홍련) est un superbe conte horrifique de Kim Ji Woon datant du 2003. Deux sœurs reviennent dans la maison familiale après un séjour à l’hôpital. Mais le foyer se montre hostile et suinte l’angoisse, entre les phénomènes inexpliqués qui se multiplient, et la présence de leur inquiétante marâtre, magnifiée par la prestation glaçante de Yeom Jung Ah. Le réalisateur joue avec le spectateur dans un film en miroir peuplé d’illusions et de pièges. Son oeuvre est inspirée d’un conte traditionnel de l’ère Joseon : L’Histoire de Fleur rose et Lotus Rouge (Janghwa Hongryeon jeon 장화홍련전) où deux sœurs luttent contre leur méchante belle-mère et ses machinations diaboliques. Tuées par celle-ci, les jeunes filles devenues fantômes exigent la justice auprès du maire du village. Vengées, elles se réincarnent en sœurs jumelles dans le nouveau foyer de leur père.

Hansel & Gretel (Henjelgwa Geuretel 헨젤과 그레텔) de Im Pil Sung, est un hybride entre thriller et fable sorti en 2007. Un jeune homme se perd dans une forêt et trouve refuge dans une charmante maison où vit une famille en apparence heureuse. Mais à mesure que le temps passe, les murs révèlent leurs sombres secrets. Le foyer se transforme en un piège labyrinthique dont les trois enfants possèdent les clés. Histoire cruelle sur la solitude de l’enfance face à la violence des adultes, ce film revisite le conte de Grimm avec brio en employant intelligemment le motif de la maison hantée.

Dramas

Je commence fort avec Kingdom (킹덤), un sageuk (drama historique) diffusé sur Netflix en 2019. Ère Joseon à l’aube de l’hiver, une épidémie mystérieuse se propage dans un village isolé après la contamination étrange d’un homme revenu du palais royal. Le prince héritier Lee Chang, soupçonne la mort de son père malade, mais celle-ci est gardée secrète par le clan de sa belle-mère. Afin d’en comprendre la cause, il se rend chez le médecin royal mais découvre sur place une terrible vérité. Cette série ambitieuse peuplées de zombies possède une intrigue prenante, de bon acteurs, un visuel éblouissant et un suspens maintenu avec talent. J’ai dévoré les deux premières saisons sans me lasser et attend la troisième avec impatience.

Life on Mars (라이프 온 마스) est le remake de la série américaine éponyme, diffusé en 2018 par la chaîne OCN, connue pour ses dramas policiers. Han Tae Ju, enquêteur criminel, traque un serial killer qui sévit à Séoul. Violemment blessé à la tête, il se retrouve projeté en 1988 en tant que détective dans le commissariat de la ville de son enfance. Espérant se réveiller de cette illusion, il tente alors de résoudre les affaires qui se présentent à lui, d’autant qu’un cas de tueur en série fait étrangement écho à celle de son présent-passé… Je ne connais pas la version US mais j’ai beaucoup apprécié cette série et son ambiance rétro, avec sa palette de personnages attachants et drôles.

Reply 1988 (Eungdabhara 응답하라 1988) est le prequel des Reply 1994 et Reply 1997 qui forment une saga des familles magistrale. La série retrace le quotidien d’un groupe de cinq amis et de leur familles qui vivent dans la même rue du quartier populaire Sangmundong de Séoul. L’histoire prend place – à nouveau – en 1988, année des Jeux Olympiques et de la revanche coréenne sur les décennies de privations liées à la guerre. C’est la fin d’une époque, celle des petites gens, de leur habitudes simples et conviviales, de cette Corée encore humaine avant son expansion économique fulgurante. Cette série est jubilatoire, ça crie de partout, on se chamaille, on se soutient, on partage tout. Les gags fusent – le fameux cri de la chèvre restera dans les mémoires – menés tambour battant par le couple parental phare de la franchise, formé par Lee Il Hwa et Sung Dong Il.

Goblin (Sseulsseulhago Chanlanhasin – Dokkaebi 쓸쓸하고 찬란하神 – 도깨비) fut un succès à sa sortie en 2016. Ce drama fantastique met en scène Kim Shin, un général militaire de l’ère Goryeo qui accède à l’immortalité après sa fin tragique. Mais après des siècles de solitude, il ne désire qu’une chose : la mort. Pour cela, il doit chercher sa fiancée parmi les humains, seul être capable de retirer l’épée qui l’empêche de mourir. Pour les amoureux de folklore coréen, cette série est une perle car elle fait référence à un grand nombre de mythes et de créatures surnaturelles : Grand-Mère Samshin, faucheurs psychopompes, gobelins, réincarnations, destin et vies antérieures… Le tout accompagné d’une belle photographie, d’une bonne dose d’humour et de personnages sympathiques.

Et pour finir, Cheese in the trap (치즈인더트랩) diffusé en 2016, est adapté du weebtoon de Soonkki publié sur la plateforme Naver en 2010. On y suit Hong Sol, jeune étudiante studieuse et fauchée, dans son quotidien éreintant à l’université. Tout se complique un peu plus quand le mystérieux et populaire sunbae (aîné) Yoon Jung, tente de sympathiser avec elle. A l’époque où je lisais le weebtoon, j’étais moi-même étudiante et j’ai adoré regarder la série dans ma chambre de 9m2. Par contre, je ne conseille pas le film, réalisé plus tard, qui n’est qu’une pâle copie du drama.

Voilà, petite liste non exhaustive de mon cinéma d’automne coréen qui pourra peut-être vous inspirer pour vos futurs visionnages. Il y en a certainement d’autres, comme les bien nommés Autumn Tale, Late Autumn, Autumn autumn, … tous des mélodrames. Et vous, quels sont vos films de la saison?