Lee Chang-dong – Nokcheon / Un éclat dans le ciel

Drames de la réalité

Lee Chang-dong 이창동 / 李滄東 est né le 1er avril 1954 à Daegu 대구, ville conservatrice de la province du Gyeongsang au centre-est de la Corée du Sud. Il est issu d’une famille de la petite classe moyenne aux convictions socialistes, qui appartenait – de façon paradoxale – à la noblesse (yangban 양반) de l’ancienne Corée. Son père, un idéaliste de gauche, laissait à son épouse le soin de s’occuper de leurs six enfants dans une certaine précarité.

Présentant un don pour l’écriture, il fut diplômé en lettres à l’université Kyungbook en 1980 alors que la Corée du Sud subissait le joug d’une énième dictature : celle de Chun Doo-hwan 전두환, devenu président après son coup d’État militaire du 12 décembre 1979 qui mit fin à la très courte période de démocratisation suivant la mort par assassinat le 26 octobre 1979 du général Park Chung-hee 박정희, président de la République, par le chef des services secrets sud-coréens Kim Jae-kyu. Lee Chang-dong, alors jeune étudiant proche du milieu littéraire et du théâtre, est témoin de l’oppression brutale des autorités sur la jeunesse contestataire et n’hésite pas à prendre part aux manifestations. Dans ce contexte mouvementé, il forge son engagement pour la démocratie et la liberté qui va imprégner toute son œuvre.

Après avoir enseigné les lettres dans un lycée, il débute sa carrière d’écrivain en 1983 en publiant Chonri 소지 (The Booty). S’en suivent Burning Papers (1987) et Nokcheon (1992) qui lui confère une reconnaissance littéraire nationale. Intrigué par son talent, le grand cinéaste Park Kwang-su 박광수, pionnier du nouveau cinéma coréen, lui propose l’écriture de deux scénarios : To the Starry Island 그 섬에 가고싶다 (1993) et A Single Park 아름다운 청년 전태일 (1995). Deux films puissants salués par la critique qui offrent à Lee Chang-dong l’impulsion de devenir réalisateur à son tour.

C’est ainsi qu’il écrit et filme son premier long-métrage Green Fish (Chorok mulkogi 초록물고기) en 1997, drame sombre sur l’entrée d’une jeune homme dans l’univers des gangs. Il réalise ensuite Peppermint Candy (Bakha satang 박하사탕) en 1997 qui aborde à nouveau la dictature militaire avec brio. Mais c’est en 2002, qu’il est définitivement reconnu comme l’un des plus grands cinéastes coréens avec son chef-d’œuvre Oasis 오아시스 qui conte la relation amoureuse de deux adolescents, un délinquant attardé mental et une handicapée physique.

A la suite de ces succès, Lee Chang-dong est nommé, presque malgré lui, ministre de la Culture et du Tourisme sous le gouvernement du président Roh Moo-hyun 노무현. On lui doit notamment la création de quota d’écran pour promouvoir les films indépendants permettant le développement de productions locales, proposition qui a rencontrée une vive opposition. Ce travail de préservation culturelle lui vaudra d’être fait chevalier de la Légion d’honneur par la France en 2006. Mais sa fonction reste pour lui une expérience épuisante qu’il ne renouvellera pas. Il quitte son ministère en 2004 pour se consacrer au cinéma.

C’est ainsi qu’il présente Secret Sunshine (Miryang 밀양), au Festival de Cannes en 2007, la chute désespérée d’une femme endeuillée dans la folie et la religion. Il devient membre du jury de ce même festival en 2008. Puis propose le films Poetry (Si 시) en 2010, tragédie sur un femme de soixante ans luttant contre Alzheimer et les fautes impardonnables de son fils à travers la poésie. Sa carrière connait une longue interruption dû à ses convictions politiques qui s’opposent aux dirigeants en place Lee Myung-bak et Park Geun-hye. Mis sur liste noire par le gouvernement, il n’obtiendra plus aucuns financements et sa création sera muselée. Après huit ans de silence, il réalise Burning 버닝 en 2018, inspiré par une nouvelle du romancier japonais Haruki Murakami. Ce dernier film remportera un immense succès international.

De gauche à droite : Affiches des films de Lee Chang-dong, Green Fish, Peppermint Candy, Oasis, Secret Sunshine, Poetry, Burning
Nokcheon, l’asphyxie du poisson rouge

La première nouvelle porte un titre évocateur : Nokcheon-eneun ttong-i manhda 녹천에는 똥이 많다 que l’on pourrait traduire par « Il y a beaucoup de merde à Nokcheon ». Nokcheon est le nom d’une station de métro de Séoul située sur la ligne 1, nokcheon yok 녹천역 issu du chinois lù chuān 鹿川驛 signifiant « Ruisselet des chevreuils ». Une appellation aussi belle que grotesque pour ce lieu putride à la puanteur immonde où les gens se soulagent quand personne ne regarde.

Il s’était tout de suite demandé comment il se pouvait qu’un tel endroit porte un nom aussi poétique, aussi noble, et la réponse ne lui était pas encore venue. Il en avait examiné les moindres recoins pour en arriver à la conclusion que seul le minable petit ruisseau qui coulait à proximité de la gare était susceptible de justifier cette dénomination, mais le cours d’eau était mort depuis longtemps, il était pollué et ne charriait plus que des ordures. À une époque très lointaine, quelques chevreuils étaient sans doute descendus de la montagne pour s’y abreuver, mais cette appellation revêtait aujourd’hui un sens vraiment ironique et sarcastique.

Descendus à cette station, « deux hommes abandonnés au milieu d’une étendue désolée et entourés d’une obscurité de plomb. » Ils sont les protagonistes de ce drame domestique d’un réalisme morne qui révèle toute l’absurdité de l’existence. Deux frères, nés de mères différentes, aussi dissemblables qu’il est possible : Joonsik l’aîné est petit, bedonnant et terre à terre tandis que son cadet Minwoo est grand, élancé et idéaliste. Sans prévenir, Minwoo s’immisce dans la vie de Joonsik et perturbe le fragile équilibre qui la maintenait en place, semant sans le savoir les graines d’une tragédie familiale.

Joonsik mène une petite vie sans prétention, un monsieur tout le monde dont la seule ambition est d’avoir une existence sans histoire avec sa famille. Il est parvenu à réaliser son rêve : devenir propriétaire d’un appartement bon marché à 23 pyongs (env. 70m2) qu’il partage avec son épouse et leur petite fille. L’accès à un « vrai chez-nous » représente une véritable victoire pour ce couple ordinaire dans la Corée en développement des années 80. Son épouse, déterminée à valoriser sa position sociale dans le petit monde de représentation que représente le voisinage, s’est fixée trois objectifs : « installer un aquarium dans le salon, posséder un équipement vidéo puis stéréo. C’était, selon elle, le minimum pour que son salon n’ait rien à envier à celui des autres. » Pourtant derrière cette vie bien rangée, la monotonie et une certaine fausseté se font sentir.

Dès leur entrée dans le foyer la dichotomie des deux frères est flagrante. Peu touché par tout ce confort domestique, Minwoo fait mention des conditions de construction, l’expulsion des anciens habitants du quartier pour bâtir les nouveaux immeubles, ce à quoi Joonsik répond : « Oui, mais est-ce que c’était une raison suffisante pour que je renonce à mon appartement ? » L’altruisme de l’un s’oppose à l’égoïsme de l’autre. Car Minwoo fait partie des activistes opposés au régime militaire en place, un criminel renvoyé de son université et recherché par les autorités.

– Tu ne peux pas te contenter de vivre dans l’espoir d’un changement radical ! Tu imagines que ce régime peut s’effondrer comme ça ?

– Ça m’est bien égal que le monde change ou pas, je fais ce que j’estime être juste…

– Tu t’y sens obligé ?

– Il faut toujours que quelqu’un ose affirmer ce qui est juste !

-형, 세상이 바뀌든 바뀌지 않든 그게 중요한 게 아냐. 난 그냥옳 다고 생각하는 일을 할 뿐이야.

– 옳다고 생간하면 그걸 꾼 해야만 하냐?

– 세상에는 옳은 것을 옳다고 이야기하는 사람이 누군가눈 꼭 있어야 하잖아?

Joonsik nourrit un complexe d’infériorité pour ce demi-frère si parfait, issu d’une relation extraconjugale. Lui, être timide et peu affirmé, ne fait pas le poids face à ce fils favorisé par leur père : « Son cœur était douloureux, comme si quelqu’un venait de le frapper. Son père était enterré maintenant, mais il aurait aimé lui parler de beaucoup de choses. » Il occupe un poste de professeur titulaire grâce à l’appui du directeur du lycée, après avoir été garçon de course puis employé administratif au sein de l’établissement. Un favoritisme qui cache une hypocrisie mêlée de pression dont use son supérieur. Pour ne pas paraître « ingrat », Joonsik est invité à la délation, à espionner ses collègues pour dénicher les militants syndicalistes qui jettent de l’ombre sur le lycée. Dans son opiniâtreté à survivre, il ressemble à sa mère, une femme quelconque mariée à un bel homme, capable de voler du pain ou de mentir pour obtenir des tarifs réduits quitte à se ridiculiser et de chier en plein marché dissimulée par son étal pour ne pas perdre de temps et donc de clients, le tout pour nourrir sa famille.

Peu à peu, Minwoo malgré lui révèle les failles de ce foyer. Plus ouvert et honnête avec lui même, il déchire le voile des apparences. En premier lieu celui du mariage, contracté trop vite et sans conviction, aussi factice que le reste. Le couple ne partage aucune intimité, même leur yeux ne se croisent plus, remplacé par cette « habitude, prise il ne savait plus quand, de se regarder par l’entremise du miroir plutôt que face à face. » Joonsik n’inspire qu’ennui et insupportable indifférence à son épouse qui se montre continuellement exaspérée par son mari. Mais la voilà qui change au contact de son beau-frère avec qui elle est aimable et souriante. Face à ce beau jeune homme « si pur », cette mère au foyer rêve de romance, d’une vie « authentique » ; de minuscules changements ravivent alors la jalousie de Joonsik.

Ce monde ne lui avait décidément laissé aucune occasion de rémission. Parfois un petit jour était apparu, mais il avait fallu qu’il s’y glisse plein de crainte et obséquieux comme un chien. Il avait enfin obtenu quelque chose mais au prix de combien de peines! Minwoo avait trahi leur petite entreprise de vol autrefois et aujourd’hui il mettait à nu le royaume qu’était pour Joonsik son foyer, à la fondation duquel il avait consacré toute son énergie : un édifice ridicule qui ne reposait que sur le mensonge et la satisfaction de soi-même.

A mesure que son monde se fissure, Joonsik réalise combien sa vie lui a échappé. Sa rancœur se cristallise et lorsqu’un agent de police l’interroge à propos de son frère recherché pour ses agissements politiques, il cède. Dénonce ce cadet honni avant de réaliser l’ampleur de son geste. Mais trop tard. Le voilà seul avec ses remords et sa peine, près de cette station de métro putride qui ne mène nulle part.

Il pleura. Les larmes ne s’arrêtaient plus, ce qui renforçait encore sa tristesse. S’il pleurait, ce n’était ni parce qu’il regrettait quelque chose ni parce qu’il se sentait coupable, mais parce qu’il se sentait désespéré, parce qu’il sentait son cœur saigner, parce qu’il ne pourrait expliquer à personne son désespoir. Il resta ainsi très longtemps à pleurer bruyamment, sans penser à se lever, assis sur la fosse à merdes. Son visage était tordu sous l’effet des grimaces de douleur, tout semblait presser son cœur d’un coup. Il se laissa enfin totalement emporter par la tristesse trop longtemps figée dans son corps et par le néant inévitable.

그는 울기 시작했다. 그의 눈에서 눈물이 흘러내렸고, 그 눈물이 더욱 그를 서럽게 만들었다. 그가 우는 것은 후회 때문도 아니었고, 자책감 때문도 아니었다. 그저 가슴이 찢어지도록 자기 자신이 비참하다는 느낌, 아무도 이해하지 못할, 아무에게도 설명하지 못할 그 자신만의 슬픔이 그를 울게 만들었다. 아주 오랜 시간 동안 그는 똥구덩이에 엉덩이를 깔고 앉은 채 일어날 생각도 않고 어린애처럼 소리 내어 울고 있었다. 가슴 속에 있는 모든 슬픔의 덩어리가 한꺼번에 터져 나온 듯이 얼굴을 일그러뜨리고 울었다. 너무나 오랜 세월 그의 몸 안에 뭉쳐져 있던 슬픔, 어찌할 수 없는 허망함에 완전히 자신을 내맡기고 울었다.

Vision du monde

A travers cette nouvelle, Lee Chang-dong interpelle sur la notion de bonheur, le prix à payer pour l’atteindre et le sens qu’on lui accorde. Inscrit dans un contexte particulièrement lourd et violent, le récit observe ces bouleversements du point de vue des gens ordinaires, ceux que l’histoire ne remarque pas mais qui sont les plus impactés par elle. L’écrivain interroge ainsi le quotidien des citoyens lambdas, ce peuple vivant sous une dictature militaire et soumis à une politique qui le dépasse. L’un se cramponne à une vie crasseuse avec résignation et obéissance, maintenant un silence obstiné avec pessimisme ; tandis que l’autre se bat pour mener une vie noble, dénonçant sans vergogne le mal pour défendre le bien. Pourtant, bien que Minwoo ait l’étoffe d’un héro, c’est le fade Joonsik qui est le protagoniste principal de l’histoire.

Et Joonsik observe, impuissant, son monde se briser. Un monde qu’il a construit sans réfléchir, avec les mains mais non avec le cœur, persuadé que c’était la meilleure méthode. Combien sommes-nous à vivre ainsi, en pilote automatique, uniquement préoccupé par une tranquillité illusoire et morne?

La comprendre ? Et vous alors, pourquoi vous n’essayez pas de me comprendre ? C’est vrai, ça ! Il paraît que je suis un type qui vit en ignorant tout de la vie ! Je vis comme un ver, sans rêve, sans idéal ! J’ai été obligé de ramper, de rester dans la vulgarité ! Pourquoi, toi, il faut que tu sois si plein de morale ? Comment peux-tu continuer à être du côté de la noblesse et de la morale ?

이해? 그럼 너희들은 왜 날 이해하려고 하지 않냐? 그래, 난 인생이 뭔지도 모르고 살아가는 놈이야. 꿈도 이상도 없이 그저 벌레처럼 살아가는 놈이야. 타락하고 비굴하고 그렇게 살아갈 수밖에 없었어. 그런데 넌 어째서 그렇게 도던직이어야 하냐? 왜 너만은 아직 도던 적이고 고상하게 살고 있냐?

Car dans la vie, les héros idéalistes sont bien moins nombreux que les gens réalistes. Si l’humain souhaite mener une existence intègre et noble comme Minwoo, il se contente généralement de peu et préfère abandonner son innocence pour le confort de l’ordinaire à l’image de Joonsik. Tout le monde n’a pas l’étoffe du justicier, ni le goût du sacrifice. En racontant l’histoire à travers les yeux de Joonsik, Lee Chang-dong révèle toute la faiblesse et la fragilité de l’être humain qui se trouve perdu dans une réalité qui lui échappe.

Il emploie à cet usage la métaphore de l’aquarium rempli de poissons rouges. Un aquarium désiré au début car symbole d’une certaine réussite sociale avant de devenir un objet insignifiant, le sac en plastique contenant les poissons se vidant lamentablement sur le sol comme pour mieux révéler l’absurdité de telles prétentions. L’humain est un poisson qui vit dans un bocal. Il tourne continuellement en rond sans avoir conscience de son enfermement.

Minwoo sera certainement isolé pendant longtemps de la société. Mais il n’est pas le seul à ne pouvoir accomplir sa volonté dans ce monde ! Moi aussi je dois vivre constamment dans l’humiliation, sans dignité, sans pureté. Il regardait l’obscurité. Il faut y allez ! Vers mon nid de vingt-trois pyongs flottant dangereusement sur ce vide au loin, sur un énorme amas d’ordures, après avoir foulé des pieds tous les détritus, la haine et les rêves abandonnés.

물론 민우 녀석은 이제 오랫동안 이 사회와 격러될 것이다. 하지만 생을 압류당한 채 살아가야만 하는 것이 어찌 민우 녀석뿐이겠는가. 이 거대한 오욕의 세상, 이미 모든 순결함과 품워를 잃어버런 이 곳에서 나 또한 살아야 하는 것이다. 가자, 하고 그는 어둠 속올 바라보며 자신에게 설득했다. 이 어마어마한 쓰레기의 퇴적층 위, 온갖오물과 중오와 버려진 꿈들을 발 아래에 두고 저 까마득한 허공에 아슬이슬하게 매달린 23평짜리의 내 보금자리 를 향해.

Pragmatique et pessimiste, Lee Chang-dong aborde l’écriture des ses œuvres, qu’elles soient cinématographiques ou littéraires, sans s’alourdir de prétentions. Dans un article publié sur Keulmadang, la philosophe Véronique Bergen explique : « Son esthétique se place sous le signe d’un principe d’incertitude, frère de celui qui régit le monde quantique. De nombreux protagonistes des films de Lee Chang-dong font l’épreuve de cette indétermination qui voisine la désorientation. Butant contre une réalité qui demeure opaque, ils errent dans un monde dont leur échappe une dimension alors qu’ils font main basse sur une autre. »

Dans son processus créatif, Lee Chang-dong explore la profondeur du désespoir, l’aliénation, la perte de soi qui pousse ses personnages à chercher, parfois en vain, un sens à leur existence et ouvre les yeux du lecteur-spectateur sur une réalité souvent ignorée. De plus, son récit prend place dans un contexte social particulièrement tendu. La surveillance accrue des autorités sur toute forme de mouvement contestataire, exacerbée par une paranoïa anti-communiste et le conflit nord-coréen, a plongé la population dans un climat anxiogène. Les manifestations pro-démocratique des années 80 étaient violement matées par la police et les dissidents traqués et arrêtés. Pour la plupart des gens, la priorité était d’assurer sa subsistance et sa sécurité et non de courir le pavé le poing levé à affronter les gaz lacrymogènes. Un épisode du drama Reply 1988 aborde avec justesse cette déchirure.

La fille aînée, Bora, prend activement part aux manifestations étudiantes, causant une grande inquiétude à sa famille qui craint pour sa sécurité et son avenir.

Farce grotesque, Nokcheon révèle la théâtralité de l’existence, sa dimension performative, son absence de sens tant les individus tendent à se conformer aux lignes d’un scénario dont ils sont les pantins. Nous, lecteurs, assistons au triste spectacle de trois êtres en souffrance : « Les immeubles alignés brillaient d’innombrables lumières dans une nuit pourtant épaisse. La scène paraissait irréelle, comme s’il s’agissait d’une immense machinerie théâtrale. Joonsik vivait dans ce décor. » La nouvelle a d’ailleurs été adaptée en 2019 en pièce de théâtre par le Doosan Art Center, par Yoon Seong-ho et Shin Yoo-chung.

Affiche et photographies issues de la pièce de théâtre adaptée de la nouvelle
Un éclat dans le ciel, la lutte de l’étoile

La seconde nouvelle se révèle tout aussi amère : « Depuis l’aube » ou Saebyeog-ieossda ihu 새벽이었다 이후, évoque les souffrance d’une jeune femme soumise à l’injustice policière en 1986. Chung Shinhye est serveuse dans un petit village minier, après avoir déserté le domicile familial. Renvoyée de son université pour y avoir organisé une assemblée étudiante, la voilà qui sert du café à des mineurs sales et grossiers. Par une froide soirée d’automne, elle est arrêtée par la police sans explications et conduite dans une salle d’interrogatoire du commissariat central.

Là, dans ce lieu aux murs placardés du drapeau national, de la photographie du président et de slogans de propagande (« Bâtissons une société de justice », « Créons une patrie développée », « Construisons une société démocratique et de bien-être », « Extirpons la mal communiste et défendons l’ordre démocratique »), elle se retrouve au cœur de ce qui se révèlera une « plaisanterie absurde ». Les inspecteurs l’assaillent de questions sur ses activités : à quelle organisation appartient-elle ? qui la commande ? quels sont ses complices ? Elle ne sait que répondre. On la soupçonne d’appartenir à un groupe d’activistes révolutionnaires, d’être « une étudiante contestataire », de se prostituer avec les mineurs pour « éveiller leur conscience politique ». Ses dénégations sont ignorées, balayées par des jurons.

Aux questions insultantes s’ajoute la violence brute des hommes : « Très vite son énorme main vint s’écraser sur le visage de Shinhye. Sans même reprendre son souffle, il lui plaqua la tête contre le bureau métallique. Tout tournait autour d’elle, elle ne voyait plus que des étincelles qui bondissaient en désordre. Elle voulait le supplier de ne pas la tuer mais il ne lui laissa même pas le temps de proférer un mot. »

La police lui fait subir un interrogatoire qui s’apparente à de la torture. Pendant des heures, la jeune femme est battue, questionnée sans relâche, menacée des pires sévices, privée de sommeil. L’épuisement la pousse presque à avouer n’importe quoi à ses geôliers, y compris à signer des mensonges : « Elle était ivre de sommeil et incapable de se concentrer sur ces deux ou trois feuilles à la graphie très serrée. » Dans sa douleur, elle puise la détermination de ne pas céder. Face à cette résistance obstinée, un inspecteur décide de la punir. Il lui ordonne de retirer ses vêtements, de s’accroupir nue sur le bureau, il plonge ses doigts dans son vagin, tente de la violer pour lui apprendre « ce que c’est que de vivre dans la vraie vie et ce qu’est la vie ». Elle pleure, vomit, supplie, et dans un ultime sursaut, le frappe et se rue hors de la salle, marquant la fin de son tourment. Bredouilles, les policiers abandonnent, et la jeune femme ressort abasourdie : « Le monde avait continué à vivre au même rythme, comme un éternel mensonge, alors que Shinhye souffrait. »

Elle ne comprenait toujours pas pourquoi ils l’avaient laissée partir sans difficulté. Ils n’avaient plus cherché à lui faire signer des aveux. Tout s’était terminé brusquement, comme si un rideau était tombé pour indiquer la fin de la pièce. Le début avait été impressionnant, la fin ressemblait à un mensonge. Ils l’avaient retenue trois jours et trois nuits sans rien obtenir d’elle après avoir eu recours à toutes les violences et à toutes les menaces. Elle avait tenu bon jusqu’au bout mais n’en retirait aucune fierté ni consolation.

En quittant le commissariat, elle apprend la vérité : c’est une collègue serveuse qui l’a dénoncé, jalouse après l’avoir vu discuter avec Kim Kwangbae, ancien meneur d’une émeute ouvrière en 1980. Mais en réalité, ça aussi c’est un mensonge. L’homme lui révèle qu’il est « tout l’opposé de ce portrait », un traître et un lâche qui a dénoncé ses camarades et est devenu un informateur, un délateur. Pourtant, quand les inspecteurs, persuadés d’avoir ferré « un gros poisson », ont tenté de le convaincre de faire une fausse déposition pour incriminer Shinhye, il s’y est refusé. Lui, « le dernier des chiens », « plus méprisable encore que le plus méprisables des insectes », a décider de leur prouver qu’ils avaient tord et de défendre son « dernier orgueil », « tout son amour propre ».

La jeune Shinhye est en fuite constante, essayant d’échapper à sa propre vie qui lui semble sans issue et étouffante. « Les autres m’ont poussée à devenir une autre que moi-même » : les ambitions de réussite sociale de sa mère qui place en elle un espoir démesuré, l’attente de ses camarades dont elle peine à partager les engagements politiques, ses collègues serveuses et prostituées occasionnelles qui ne comprennent pas qu’elle soit encore vierge, les ordres de la police exigeant des aveux factices qu’elle ne peux se résoudre à confier.

Les doutes qui l’assaillent sont ceux qui étreignent le cœur de chaque être humain. Cette peur latente et sourde qui l’on ne parvient pas à comprendre et qui brouille nos repères : « J’étais incapable de me consacrer corps et âme au progrès de l’histoire, je voyais bien que j’étais déchirée entre mes envies et mes ambitions et que je ne pouvais me défaire de mon scepticisme. Je ne vivais donc que des situations sans issue dont il m’était impossible de m’échapper seule. » Pourtant, à l’issue de son calvaire, elle trouve la force de vivre et de résister.

Il était encore très tôt. La nuit se défaisait peu à peu de ses habits sombres, au loin un coin de ciel apparaissait déjà, bleu et luisant comme un dos de poisson. Elle s’arrêta soudain pour contempler une étoile au-dessus d’elle, en plein milieu du ciel : elle brillait, imperturbable, indifférente au jour qui s’apprêtait à l’effacer.

Qui donc a allumé cette lumière éternelle là-haut ? Elle prit le temps de contempler l’astre à tête renversée. Jamais elle n’avait ressenti une telle proximité. Elle avait été torturée au commissariat, elle avait couché avec Kim Kwangbae alors que la Terre faisait un tour sur son orbite et que cette étoile scintillait doucement, toujours à la même place dans l’Univers.

Shinhye laissa l’émotion bouleverser le chaos de son âme. Cette étoile est dans le ciel, je suis debout ici. Rien, personne ne prendra la place qui est celle de cette étoile ! Dans mon cœur aussi brillera une étoile dont personne, si fort soit-il, ne pourra s’emparer ! Oui, je serai vivante ! Une brutale envie de vivre irrigua son cœur, l’étoile se décrocha et tomba juste devant ses yeux, où elle explosa. Elle éclata en sanglots.

La violence du pouvoir

Lee Chang-dong à l’instar de nombreux romanciers et cinéastes, met en scène le thème du traumatisme de l’histoire nationale dans ses œuvres. On observe une « omniprésence des réalités historiques et sociales dans la littérature coréenne moderne et contemporaine » (M. Choi ; J-N. Juttet). Une tendance que j’avais déjà abordée avec le roman La vie rêvée des plantes de Lee Seung-U qui présente des similitudes avec Nokcheon. Ainsi dès 1983, Lee Chang-dong publie son premier roman Chonri, un récit polémique qui n’hésite pas à évoquer les récentes émeutes de la ville de Gwangju, lors du soulèvement populaire pour la démocratisation qui a baigné dans le sang en mai 1980 ; un thème qu’il abordera à nouveau avec son film Peppermint Candy. Mais c’est bien la nouvelle Un éclat dans le ciel qui confronte avec le plus de réalisme l’horreur de la répression anti-démocratique.

Le massacre de Gwangju vu par le cinéma : Gwangju Video: The Missing 광주비디오: 사라진 4시간 (2020), A Petal 꽃잎 (1996), May 18 화려한 휴가 (2017)

La police de la république de Corée (대한민국의 경찰 / 大韓民國의 警察) a connue, comme son pays, une histoire tourmentée. Soumise à l’autorité absolue de l’Etat, elle a ainsi participé à la répression des mouvements de démocratisation qui ont jalonné les Républiques successives sclérosées par des régimes autoritaires (Y. Kim). Les coréens se souviennent des exactions de la police qui a tiré sur la foule lors du soulèvement de Masan (3·15 마산 의거 / 三一五馬山義擧) ce qui a engendré la Révolution du 19 avril 1960 (4·19 혁명 / 四一九革命). Lancé par des étudiants pour contester la troisième réélection frauduleuse du président autocrate Syngman Rhee 이승만, au pouvoir depuis 1948 et alors âgé de 84 ans, le mouvement révolutionnaire pris une ampleur inédite et gagna tout le pays et mit finalement fin à douze ans de dictature. Un vent de liberté bientôt soufflé par le coup d’état militaire du général Park Chung-hee 박정희, le 24 mars 1962.

Mais le supplice de l’héroïne du livre fait surtout écho à l’affaire de torture sexuelle du commissariat de Bucheon (부천서 성고문 사건 / 富川署性拷問事件) qui eu lieu le 4 juin 1986. Kwon In-suk 권인숙, une étudiante en 4e année à l’université nationale de Séoul avait été conduite au commissariat après avoir falsifié des papiers d’identité pour obtenir un emploi. Bien que la jeune femme ait admis les faits, le détective Moon Gwi-dong 문귀동, la soupçonnant d’être impliquée dans un groupe contestataire, l’a agressé sexuellement. La jeune femme a alors porté plainte et l’affaire a vite été médiatisée, faisant scandale et mettant en lumière les exactions malhonnêtes de la police censée protéger la population et les violences faites aux femmes dissidentes. Les autorités de sécurité publique, soutenues par le président Chun Doo-Han 전두환, ont tenté de taire les faits et fait paraître de fausses informations dans les médias, diffamant la victime sur sa mauvaise conduite et ses tendances gauchistes. La justice s’est alors acharnée sur Kwon In-suk, niant son agression, et l’a condamné à une peine d’un an et six mois d’emprisonnement le 1er décembre 1986. Il fallu attendre le 9 février 1988, à la suite du soulèvement démocratique du 19 juin 1988, pour que la Cour suprême condamne le détective à 5 ans de prison dont trois avec sursis.

Une affaire de torture qui rejoint celle du meurtre de Park Jong-cheol 박종철, un étudiant de l’université nationale de Séoul, président du conseil étudiant du département de linguistique et activiste prodémocratie contre la dictature de Chun Doo-hwan. Arrêté et interrogé par la police, le jeune homme a refusé de dénoncer ces camarades militants malgré des actes de torture par l’eau ou waterboarding. Soumis à un simulacre de noyade, il mourra de suffocation le 14 janvier 1987 à l’âge de 21 ans. Les autorités ont alors voulu étouffer l’affaire mais la grogne populaire face à ce meurtre barbare a conduit au Soulèvement démocratique de Juin (6월 민주항쟁 / 六月民主抗爭). Entre le 10 et le 29 juin 1987, d’immenses manifestations populaires ont poussé le régime militaire de Chun Doo-hwan à établir de nouvelles élections présidentielles qui ont mené à l’établissement de la VIe République de Corée. L’instabilité politique du pays a favorisé l’accès au pouvoir de son successeur, le général Roh Tae-woo 노태우 entre 1988 et 1993, individu dont le mandat sera fortement mitigé (corruption et inculpation dans le coup d’État militaire de 1979 et la répression de Gwangju), qui s’est malgré tout engagé à respecter les promesses de démocratisation du pays.

Photographie du rassemblement commémoratif en l’honneur de Park Jong-cheol à l’Université nationale de Séoul du 20 janvier 1987 서울대에서 열린 박종철 추모행렬 (source) / Extrait du film 1987: When The Day Comes qui traite de l’affaire

Les cas de torture perpétrés par des individus dépositaires de l’autorité ne sont donc pas rares en Corée. La société coréenne modelée par le néo-confucianisme accorde une importance considérable au respect de la hiérarchie. Les subordonnés doivent obéissance à leurs supérieurs et gare à ceux qui oserait contester cet état de fait. Les médias coréens font régulièrement mention des abus de pouvoir tyranniques d’héritiers de grosses fortunes chaebol 재벌 sur des employés sans défense. Ce comportement nommé gapjil 갑질 se nourrit de cette culture de l’élite et du jeu de pouvoir propre à la société coréenne.

A cela s’ajoute une certaine banalisation des châtiments corporels (체벌 / 體罰) pourtant interdits par la loi. Coups de bâton sur les jambes ou les mains, position accroupie et mains levées en signe de pénitence, obligation de faire des pompes ou des tours de terrain ; c’est par le corps que l’on éduque et que l’on demande pardon. Le cinéma coréen foisonne de scènes de correction. Des colères humoristiques où une mère taloche sa progéniture, à la gifle rageuse donnée par une rivale jalouse, aux bastonnades moins innocentes d’adolescents, ou aux véritables passages à tabac entre gangsters. Sans compter les beignes, mandales et autres raclées allègrement fournies par les inspecteurs de police aux suspects, malfrats ou délinquants plus ou moins innocents qui croisent leur route. En témoignent des films comme Memories of Murder de Bong Joon-ho (2003), 1987: When The Day Comes de Jang Joon Hwan (2017), ou les dramas Bad Guys (2014), Signal (2016), Life on Mars (2018).

Scènes issues du film Memories of Murder : l’interrogatoire musclé d’un suspect et l’équipe d’inspecteurs dans un commissariat typique des années 80.

A travers le portrait de personnages en proie à des épreuves douloureuses, Lee Chang-dong cherche à libérer la parole sur un passé anxiogène longtemps soumis à ‘l’obligation d’être oublié’ et tente de faire ressurgir les souvenirs traumatisants pour ne pas nier l’histoire et opérer ainsi un travail de mémoire (J. Duay). Une façon de prôner la force de vivre de l’être humain dans toute sa fragile et insignifiante beauté.

« Il fallait que je définisse ce qui était le plus important pour moi, parce qu’il est illusoire de chercher à vivre dans une liberté purgée de tout désir. »

SOURCES :
  • Choi Mikyung; Juttet, Jean-Noël. « Les « sombres feux du passé » dans la littérature contemporaine de Corée du Sud, Critique, vol. 848-849, no. 1-2, 2018, pp. 165-179
  • Dayez-Burgeon. Histoire de la Corée : Des origines à nos jours, Éditions Tallandier, 2012
  • Delissen Alain. Démocratie et nationalisme : le moment minjung dans la Corée du Sud des années 1980. In: Matériaux pour l’histoire de notre temps, n°45, 1997. Modèles d’Asie : En Asie aujourd’hui, des réussites économiques, pour quelles sociétés ? sous la direction de René Girault . pp. 35-40.
  • Duay, Justine. « Mémoire, traumatisme et histoire dans le cinéma sud-coréen contemporain : Mother et Peppermint Candy », Décadrages, 19/2011, 120-129
  • Ferreira, Eric. « Les bourreaux sont-ils les victimes de la société coréenne? d’après le film Pak’ha sat’ang (Peppermint Candy) de Lee Chang-dong », Synergies, Corée n° 2 – 2011 pp. 83-92 (source)
  • Kim Youngsik. « La réforme de la police en Corée du Sud : le chemin inachevé », éd., Droit et politique. La circulation internationale des modèles en question. Presses universitaires de Grenoble, 2014, pp. 265-274.
  • Piel, Jean. Corée, tempête au pays du Matin Calme, éditions Philippe Picquier, Paris, 1998
  • Uk Heo ; Roehrig, Terence. South Korea since 1980, Cambridge University Press, New York, 2010

Cinéma et séries coréennes pour l’Automne

La Corée du Sud est un pays que j’associe toujours à l’automne gaeul 가을. Peut-être à cause de ses forêts d’érables, de pins et de ginkgos qui offrent des paysages de feu, ses champs d’eulalie ou herbe argentée eogsae 억새 bruissant sous le soleil, ses coffee shop cozy à l’esthétique épurée qui foisonnent à Séoul, la beauté atypique de son architecture entre hanok traditionnels et constructions de briques un peu anarchiques. L’ambiance idéale pour les amoureux de la saison brune, qui est d’ailleurs considérée comme la plus agréable par les coréens (grands amateurs de randonnée) qui possèdent même un terme spécifique : le danpung-gil 단풍길, ‘chemin d’automne’.

C’est aussi la saison de Chuseok 추석, la très importante fête des moissons, qui a lieu le quinzième jour du huitième mois lunaire. L’occasion pour les familles de se rassembler afin de rendre hommage aux ancêtres et de célébrer les dons que la nature leur offre. La Corée est une nation d’agriculteurs, les gens sont profondément attachés à la terre, très généreuse durant la saison automnale. Il existe un proverbe qui personnifie cette abondance :  »Cheongomabi » 천고마비,  »Le ciel est haut et les chevaux sont gras », issu du chinois 天高馬肥 tiān gāo mǎ féi. Pour ce peuple qui a tant souffert de la faim et des privations, le culte du sol est primordial. Ainsi, la mélancolie coréenne issue du Han 한, ce sentiment de regret insondable qui étreint leur âme, résonne aussi avec la douceur nostalgique de l’automne.

J’avais envie de vous proposer une petite liste de films et de séries issus du pays du ‘Matin frais’ 朝鮮. Bien sûr, tous ne prennent pas place en automne mais ils ont un je-ne-sais-quoi qui me fait toujours penser à cette saison. Au programme des œuvres adeptes du mélange des genres comme savent si bien le faire les cinéastes coréens et des séries que j’aime regarder avec une boisson chaude à la main…

Films

The Sound of a Flower (Dorihwaga 도리화가) de Lee Jong Pil, sorti en 2015, nous conte l’histoire vraie de Jin Chae Seon, la première chanteuse de pansori de l’ère Joseon (1392-1897). Passionnée par le chant, elle se déguise en homme au péril de sa vie, bravant l’interdit qui pèse sur les femmes, et accède à la fonction de chanteur à la cour royale. Le Pansori 판소리, trésor national immatériel, est l’opéra traditionnel coréen qui se compose d’un chanteur et d’un joueur de tambour buk. La performance, pouvant durer plusieurs heures, se compose d’un récital de madang, des histoires contées. Le film jouit d’une photographie magnifique, et bien que l’on puisse regretter la prestation vocale de l’actrice principale, loin des performances exigées en pansori, il reste un bon moyen de découvrir cet art si méconnu. Pour les amateurs du genre, La Chanteuse de pansori (Seopyeonje 서편제) de 1993 réalisé par le grand Im Kwon Taek, ainsi que sa suite non-officielle de 2000, Le Chant de la fidèle Chunhyang (Chunhyangga 춘향가), sont des classiques.

A Werewolf Boy (Neukdae Sonyeon 늑대소년) de Jo Sung Hee sorti en 2012. Une jolie romance surnaturelle entre une jeune fille asthmatique – jouée par l’adorable Park Bo Yong – et un mystérieux garçon-loup – interprété par le populaire Song Joong Ki. Grand succès au box office coréen, cette réécriture de la Belle et la Bête évite les clichés mièvres du genre et dépeint la relation toute simple entre deux adolescents aussi timides et fragiles l’un que l’autre, ainsi que la difficile lutte contre les préjugés et la méchanceté humaine.

Rabbit and Lizard (Tokkiwa Rijeodeu 토끼와 리저드) est un road movie de Ju Ji Hong datant de 2009. May, une jeune coréenne adoptée qui recherche ses origines fait la rencontre d’un chauffeur de taxi malade du cœur. Tout deux en poursuite de quelque chose, ils partagent leurs épopées. C’est un petit film sans prétention, au rythme lent et mélancolique qui ne plaira pas à tout le monde. Les coréens sont les spécialistes du mélodrame, incarnation du han. On ne compte plus le nombre de romances tragiques tire-larmes qui mettent en scène des amours impossibles à coup de maladies incurables, d’accidents, de séparations ou autre… Le champion toutes catégories est bien sûr Winter Sonata (Gyeoul yeonga 겨울연가) de 2002, the drama coréen devenu phénomène culturel en Asie. Son succès, notamment au Japon, a propulsé le tourisme dans les régions où se déroulait le tournage; et la popularité de son acteur principal, Bae Yong-jun, déchaîna des foules de fans lors de sa visite sur le sol nippon.

Memories of Murder (Sarinui Chueok 살인의 추억) est un thriller policier grotesque datant de 2003, réalisé par le génial Bong Joon Oh (The Host, Parasite, Okja). Inspiré d’une sordide affaire criminelle : celle du tueur en série de Hwaseong qui a bouleversé le pays entre 1986 et 1991. Une dizaine de femmes retrouvées violées et assassinées dans la province rurale du Gyunngi-do. Malgré des efforts colossaux mis en oeuvre et des milliers de suspects interrogés, l’affaire restera irrésolue. Il faudra attendre 2019 pour que les avancées techniques de la police scientifique permettent enfin de confondre le meurtrier. Bong Joon Oh n’hésite pas à retranscrire la brutalité et l’incapacité de la police locale au cours d’une enquête qui tourne parfois à la farce.

A Tale of Two Sisters (Janghwa, Hongryeon 장화, 홍련) est un superbe conte horrifique de Kim Ji Woon datant du 2003. Deux sœurs reviennent dans la maison familiale après un séjour à l’hôpital. Mais le foyer se montre hostile et suinte l’angoisse, entre les phénomènes inexpliqués qui se multiplient, et la présence de leur inquiétante marâtre, magnifiée par la prestation glaçante de Yeom Jung Ah. Le réalisateur joue avec le spectateur dans un film en miroir peuplé d’illusions et de pièges. Son oeuvre est inspirée d’un conte traditionnel de l’ère Joseon : L’Histoire de Fleur rose et Lotus Rouge (Janghwa Hongryeon jeon 장화홍련전) où deux sœurs luttent contre leur méchante belle-mère et ses machinations diaboliques. Tuées par celle-ci, les jeunes filles devenues fantômes exigent la justice auprès du maire du village. Vengées, elles se réincarnent en sœurs jumelles dans le nouveau foyer de leur père.

Hansel & Gretel (Henjelgwa Geuretel 헨젤과 그레텔) de Im Pil Sung, est un hybride entre thriller et fable sorti en 2007. Un jeune homme se perd dans une forêt et trouve refuge dans une charmante maison où vit une famille en apparence heureuse. Mais à mesure que le temps passe, les murs révèlent leurs sombres secrets. Le foyer se transforme en un piège labyrinthique dont les trois enfants possèdent les clés. Histoire cruelle sur la solitude de l’enfance face à la violence des adultes, ce film revisite le conte de Grimm avec brio en employant intelligemment le motif de la maison hantée.

Dramas

Je commence fort avec Kingdom (킹덤), un sageuk (drama historique) diffusé sur Netflix en 2019. Ère Joseon à l’aube de l’hiver, une épidémie mystérieuse se propage dans un village isolé après la contamination étrange d’un homme revenu du palais royal. Le prince héritier Lee Chang, soupçonne la mort de son père malade, mais celle-ci est gardée secrète par le clan de sa belle-mère. Afin d’en comprendre la cause, il se rend chez le médecin royal mais découvre sur place une terrible vérité. Cette série ambitieuse peuplées de zombies possède une intrigue prenante, de bon acteurs, un visuel éblouissant et un suspens maintenu avec talent. J’ai dévoré les deux premières saisons sans me lasser et attend la troisième avec impatience.

Life on Mars (라이프 온 마스) est le remake de la série américaine éponyme, diffusé en 2018 par la chaîne OCN, connue pour ses dramas policiers. Han Tae Ju, enquêteur criminel, traque un serial killer qui sévit à Séoul. Violemment blessé à la tête, il se retrouve projeté en 1988 en tant que détective dans le commissariat de la ville de son enfance. Espérant se réveiller de cette illusion, il tente alors de résoudre les affaires qui se présentent à lui, d’autant qu’un cas de tueur en série fait étrangement écho à celle de son présent-passé… Je ne connais pas la version US mais j’ai beaucoup apprécié cette série et son ambiance rétro, avec sa palette de personnages attachants et drôles.

Reply 1988 (Eungdabhara 응답하라 1988) est le prequel des Reply 1994 et Reply 1997 qui forment une saga des familles magistrale. La série retrace le quotidien d’un groupe de cinq amis et de leur familles qui vivent dans la même rue du quartier populaire Sangmundong de Séoul. L’histoire prend place – à nouveau – en 1988, année des Jeux Olympiques et de la revanche coréenne sur les décennies de privations liées à la guerre. C’est la fin d’une époque, celle des petites gens, de leur habitudes simples et conviviales, de cette Corée encore humaine avant son expansion économique fulgurante. Cette série est jubilatoire, ça crie de partout, on se chamaille, on se soutient, on partage tout. Les gags fusent – le fameux cri de la chèvre restera dans les mémoires – menés tambour battant par le couple parental phare de la franchise, formé par Lee Il Hwa et Sung Dong Il.

Goblin (Sseulsseulhago Chanlanhasin – Dokkaebi 쓸쓸하고 찬란하神 – 도깨비) fut un succès à sa sortie en 2016. Ce drama fantastique met en scène Kim Shin, un général militaire de l’ère Goryeo qui accède à l’immortalité après sa fin tragique. Mais après des siècles de solitude, il ne désire qu’une chose : la mort. Pour cela, il doit chercher sa fiancée parmi les humains, seul être capable de retirer l’épée qui l’empêche de mourir. Pour les amoureux de folklore coréen, cette série est une perle car elle fait référence à un grand nombre de mythes et de créatures surnaturelles : Grand-Mère Samshin, faucheurs psychopompes, gobelins, réincarnations, destin et vies antérieures… Le tout accompagné d’une belle photographie, d’une bonne dose d’humour et de personnages sympathiques.

Et pour finir, Cheese in the trap (치즈인더트랩) diffusé en 2016, est adapté du weebtoon de Soonkki publié sur la plateforme Naver en 2010. On y suit Hong Sol, jeune étudiante studieuse et fauchée, dans son quotidien éreintant à l’université. Tout se complique un peu plus quand le mystérieux et populaire sunbae (aîné) Yoon Jung, tente de sympathiser avec elle. A l’époque où je lisais le weebtoon, j’étais moi-même étudiante et j’ai adoré regarder la série dans ma chambre de 9m2. Par contre, je ne conseille pas le film, réalisé plus tard, qui n’est qu’une pâle copie du drama.

Voilà, petite liste non exhaustive de mon cinéma d’automne coréen qui pourra peut-être vous inspirer pour vos futurs visionnages. Il y en a certainement d’autres, comme les bien nommés Autumn Tale, Late Autumn, Autumn autumn, … tous des mélodrames. Et vous, quels sont vos films de la saison?